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4. Mme DE SÉVIGNÉ À SA FILLE, Mme DE GRIGNAN.

LIVRY, lundi 27 mai 1675.

Quel jour, ma fille, que celui qui ouvre l'absence! Com

ment vous a-t-il paru? l'amertume et toute la

Pour moi, je l'ai senti avec toute douleur que j'avais imaginées, et que j'avais appréhendées depuis si longtemps. Quel moment que celui où nous nous séparâmes! Quel adieu et quelle tristesse d'aller chacune de son côté quand on se trouve si bien ensemble ! Je ne veux point vous en parler davantage, ni célébrer, comme vous dites, toutes les pensées qui me pressent le cœur ; je veux me représenter votre courage et tout ce que vous m'avez dit sur ce sujet, qui fait que je vous admire. Il me parut pourtant que vous étiez un peu touchée en m'embrassant. Pour moi, je revins à Paris comme vous pouvez vous l'imaginer: M. de Coulanges se conforma à mon état; j'allai descendre chez M. le cardinal de Retz, où je renouvelai tellement toute ma douleur que je fis prier M. de Rochefoucauld, madame de La Fayette, et madame de Coulanges, qui vinrent pour me voir, de trouver bon que je n'eusse point cet honneur; il faut cacher ses faiblesses devant les forts. M. le cardinal entra dans les miennes; la sorte d'amitié qu'il a pour vous le rend fort sensible à votre départ. Il se fait peindre par un religieux de Saint-Victor; je crois que, malgré Caumartin, il vous donnera l'original. Il s'en va dans peu de jours; son secret est répandu; ses gens sont fondus en larmes je fus avec lui jusqu'à dix heures. Ne blâmez point, mon enfant, ce que je sentis en rentrant chez moi: quelle différence! quelle solitude! quelle tristesse! votre chambre, votre cabinet, votre portrait! ne plus trouver

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cette aimable personne! M. de Grignan comprend bien ce que je veux dire et ce que je sentis. Le lendemain, qui était hier, je me trouvai tout éveillée à cinq heures; j'allai prendre Corbinelli pour venir ici avec l'abbé. Il y pleut sans cesse, et je crains fort que vos chemins de Bourgogne ne soient rompus. Nous lisons ici des maximes que Corbinelli m'explique; il voudrait bien m'apprendre à gouverner mon cœur ; j'aurais beaucoup gagné à mon voyage si j'en rapportais cette science. Je m'en retourne demain; j'avais besoin de ce moment de repos pour remettre un peu ma tête, et reprendre une espèce de contenance.

EXERCICE.-Madame de Grignan répondra à sa mère.

5. VOLTAIRE À THIRIOT +. (Lettre de reproches.)

LUNEVILLE, 12 juin 1733.

Oui, je vous injurierai jusqu'à ce que je vous aie (737.) guéri de votre paresse. Je ne vous reproche point de souper tous les soirs avec M. de La Popelinière ; je vous reproche de borner là toutes vos pensées et toutes vos espérances. Vous vivez comme si l'homme avait été créé uniquement pour souper; et vous n'avez d'existence que depuis dix heures du soir jusqu'à deux heures après minuit. Vous restez dans votre trou jusqu'à l'heure des spectacles à dissiper les fumées du souper de la ville; ainsi vous n'avez pas un moment pour penser à vous et à vos amis.

Thiriot (1696-1772) édita plusieurs des ouvrages de Voltaire, et fut son agent d'affaires à Paris.

Le fermier-général DE LA POPELINIÈRE tint un rang considérable dans la société du XVIII° siècle par son faste, et par la protection qu'il accorda aux lettres et aux arts.

vous.

Cela fait qu'une lettre à écrire devient un fardeau pour Vous êtes un mois entier à répondre. Et vous avez encore la bonté de vous faire illusion au point d'imaginer que vous serez capable d'un emploi et de faire quelque fortune, vous qui n'êtes pas capable seulement de vous faire dans votre cabinet une occupation suivie, et qui n'avez jamais pu prendre sur vous d'écrire régulièrement à vos amis, même dans les affaires intéressantes pour vous et pour eux. Vous avez passé votre jeunesse; vous deviendrez bientôt vieux et infirme; voilà à quoi il faut que vous songiez. Il faut mieux vous préparer une arrière-saison tranquille, heureuse, indépendante. Que deviendrez-vous quand vous serez malade et abandonné ? Sera-ce une consolation pour vous de dire: J'ai bu du vin de Champagne autrefois en bonne compagnie? Songez qu'une bouteille qui a été fêtée quand elle était pleine d'eau des Barbades, est jetée dans un coin dès qu'elle est cassée, et qu'elle reste en morceaux dans la poussière; que voilà ce qui arrive à tous ceux qui n'ont songé qu'à être admis à quelques soupers; et que la fin d'un vieil inutile, infirme, est une chose bien pitoyable. Si cela ne vous donne pas un peu de courage, et ne vous excite pas à secouer l'engourdissement dans lequel vous laissez votre âme, rien ne vous guérira. Si je vous aimais moins, je vous plaisanterais sur votre paresse; mais je vous aime, et je vous gronde beaucoup.

Cela posé, songez donc à vous, et puis songez à vos amis. N'oubliez point vos amis, et ne passez pas des mois entiers sans leur écrire un mot. Il n'est point question d'écrire des lettres pensées et réfléchies avec soin, qui peuvent un peu coûter à la paresse; il n'est question que de deux ou

trois mots d'amitié, et quelques nouvelles, soit d'amitié, soit des sottises humaines, le tout courant sur le papier sans peine et sans attention. Il ne faut, pour cela, que se mettre un demi-quart d'heure vis-à-vis son écritoire. Estce donc là un effort si pénible ? J'ai d'autant plus d'envie d'avoir avec vous un commerce régulier, que votre lettre m'a fait un plaisir extrême.

EXERCICE.-Thiriot répondra à Voltaire.

6. VOLTAIRE À LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

La mort malheureuse de M. le duc de Melun vient de changer toutes nos résolutions; M. le duc de Richelieu qui l'aimait tendrement en a été dans une douleur qui a fait connaitre la bonté de son cœur, mais qui a dérangé sa santé. Il a été obligé de discontinuer ses eaux, et il va recommencer dans quelques jours sur nouveaux frais. Je resterai avec lui encore une quinzaine, ainsi ne comptez plus sur nous pour vendredi prochain; pour moi je commence à craindre que les eaux ne me fassent du mal après m'avoir fait assez de bien. Si j'ai de la santé, je reviendrai à la Rivière gaiement; si je n'en ai point, j'irai tristement à Paris; car, en vérité, je suis honteux de ne me présenter devant mes amis qu'avec un estomac faible et un esprit chagrin. Je ne veux vous donner que mes beaux jours et ne souffrir qu'incognito.

Si vous ne savez rien du détail de la mort de M. de Melun, en voici quelques particularités.

Samedi dernier, il courait le cerf avec M. le duc ; ils en avaient déjà pris un, et en couraient un second; M. le duc et M. de Melun trouvèrent dans une voie étroite le

cerf qui venait droit à eux; M. le duc eut le temps de se ranger. M. de Melun crut qu'il aurait le temps de croiser le cerf, et poussa son cheval. Dans le moment le cerf l'atteignit d'un coup d'andouiller si furieux, que le cheval, l'homme et le cerf en tombèrent tous trois. M. de Melun avait la rate coupée, le diaphragme percé et la poitrine refoulée; M. le duc, qui était seul auprès de lui, banda sa plaie avec son mouchoir, et y tint la main pendant trois quarts d'heure; le blessé vécut jusqu'au lundi suivant, qu'il expira à six heures du matin, entre les bras de M. le duc, et à la vue de toute la cour, qui était consternée et attendrie d'un spectacle si tragique, mais qui l'oubliera bientôt. Dès qu'il fut mort, le roi partit pour Versailles, et donna au comte de Melun le régiment du défunt. Il est plus regretté qu'il n'était aimé; c'était un homme qui avait peu d'agréments, mais beaucoup de vertu, et qu'on était forcé d'estimer.

EXERCICE.-La présidente de Bernières répondra à

Voltaire.

7. LETTRE DE MONTESQUIEU À L'ABBÉ DE GUASCO +.

(Charles DE SECONDAT, baron de MONTESQUIEU, naquit en 1689 au château de la Brède, près de Bordeaux, et mourut à Paris en 1755. Esprit hardi mais sage, magistrat érudit et homme vertueux, il a écrit pour éclairer ses semblables et pour les rendre meilleurs. Après les Lettres persanes, livre frivole où des parties sérieuses portaient l'empreinte de son génie, il s'est immortalisé par l'Esprit des Lois, et par les Considérations sur les Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains.)

L'abbé DE GUASCO, savant piémontais, naquit à Pignerol en 1712 et mourut en 1781.

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