"Tout fait nombre," dit l'homme, en voyant son butin; Mettons-le en notre gibecière." Le pauvre carpillon lui dit en sa manière : 66 Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir, Je serai par vous repêchée ; Au lieu qu'il vous en faut chercher Peut-être encore cent de ma taille Pour faire un plat! quel plat! croyez-moi, rien qui vaille.""Rien qui vaille ! eh bien! soit," repartit le pêcheur: "Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur: Vous irez dans la poêle; et, vous avez beau dire, Dès ce soir on vous fera frire." Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras †. L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.-LA FONTAINE. Faites sur cette fable un sujet d'imitation, en prenant pour titre : LA PERDRIX ET LE CHASSEUR. . 4. L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS. Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent Une huître, que le flot y venait d'apporter : Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent; L'un se baissait déjà pour amasser ‡ la proie; "A gift is better than two promises," or "A bird in the hand is worth two in the bush." Aujourd'hui le mot propre serait ramasser. La langue a varié. L'autre le pousse, et dit: "Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur; l'autre le verra faire."- Reprit son compagnon, "j'ai l'œil bon, Dieu merci."- Dit l'autre; "et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.""Hé bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie.” Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin†t arrive: ils le prennent pour juge. Ce repas fait, il dit d'un ton de président : "Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ; Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles §. Faites sur L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS un sujet d'imitation intitulé LA NOIX ET LES ENFANTS. Nom donné par Rabelais à un homme de justice (Pantagruel, iii. 39). Depuis, Racine, par sa comédie des Plaideurs, et La Fontaine, par ses fables, ont rendu ce nom populaire. Trop heureux plaideurs de ne pas être condamnés aux dépens quand le juge ne leur laisse rien ! Pantagruel, dans Rabelais, liv. ii., ch. xiii., termine de la même manière son burlesque arrêt: Amys comme davant sans despens et pour cause. § Expression proverbiale, pour dire ne leur laisse rien; le sac, sans l'argent, les quilles, sans la boule, ne sont d'aucun usage. Étymologie douteuse. 5. LE LIÈVRE ET LA TORTUE. (Fable.) Rien ne sert de courir; il faut partir à point: Le lièvre et la tortue en sont un témoignage. "Gageons," dit celle-ci, "que vous n'atteindrez point Sitôt que moi ce but."-"Sitôt ! êtes-vous sage ?" Repartit l'animal léger : "Ma commère, il faut vous purger Avec quatre grains d'ellébore t." 66 Sage ou non, je parie encore.” Ainsi fut fait; et de tous deux Ni de quel juge l'on convint. Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire; J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint, Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes ‡, Et leur fait arpenter les landes §. D'où vient le vent, il laisse la tortue Aller son train de sénateur . Elle part, elle s'évertue; Elle se hâte avec lenteur T. Les anciens attribuaient à cette plante la propriété de guérir la folie. C'est-à-dire aux calendes grecques, expression qui signifie, dans un temps qui ne viendra jamais, car les Grecs ne comptaient pas par calendes, comme les Romains. § Landes, terres stériles, est mis ici pour champs. "Son train de sénateur" est une locution qui désigne une marche lente, à pas comptés. Festina lente. presse."-BOILEAU. "Hâtez-vous lentement, quelque ordre qui vous Lui cependant méprise une telle victoire, Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Moi § l'emporter! et que serait-ce Si vous portiez une maison ?"-LA FONTAINE. Faites sur cette fable un sujet d'imitation en prenant pour titre : LES DEUX ÉLÈVES. 6. LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES. Dès que Téthys †† chassait Phébus aux crins dorés, L'expérience apprendra trop tard aux esprits brillants, mais légers, qu'ils sont bien souvent devancés dans la vie par des esprits pesants, mais réguliers et infatigables. i.e., n'avais-je ? § HAVET'S "French Class-Book," p. 271, note †. || i.e., Il y avait. Ti.e., les trois Parques: Clotho, Lachésis, Atropos, chargées de filer les destinées des hommes. i.e., la mer, dans laquelle Phébus (le Soleil) était censé se coucher, une fois sa course diurne terminée. Tourets entraient eu jeu, fuseaux étaient tirés, Deçà, delà, vous en aurez : Point de cesse, point de relâche, Dès que l'Aurore, dis-je, en son char remontait, L'une entr'ouvrait un œil, l'autre étendait un bras; Disaient entre leurs dents "Maudit coq! Tu Comme elles l'avaient dit, la bête fut grippée ; Ce meurtre n'amenda nullement leur marché §; C'est ainsi que, le plus souvent, +i.c., petits tours à dévider. i.e., attrapée subtilement et promptement. § "Amender son marché est une locution qui signifie qu'on ne fait que différer une condamnation qu'on n'évitera pas par un appel |