Lapas attēli
PDF
ePub

beau, saint, sublime par lui-même, et elle le dit. Ne le croyez pas, et si vous le croyez, ne le dites point. Cela est d'un mauvais exemple. L'amour ainsi présenté se subordonne le mariage. Il y aboutit, il le brise, il se passe de lui, selon les circonstances; mais, quoi qu'il fasse, il le traite en inférieur; il ne lui reconnaît de sainteté que celle qu'il lui donne, et le juge impie s'il s'en trouve exclu. Le roman ainsi conçu est une plaidoirie en faveur du cœur, de l'imagination, de l'enthousiasme et de la nature; mais il est souvent une plaidoirie contre la société et contre la loi; nous ne souffrons pas qu'on touche de près ou de loin à la société ni à la loi. Présenter un sentiment comme divin, incliner devant lui toutes les institutions, le promener à travers une suite d'actions généreuses, chanter avec une sorte d'inspiration héroïque les combats qu'il livre et les assauts qu'il soutient, l'enrichir de toutes les forces de l'éloquence, le couronner de toutes les fleurs de la poésie, c'est peindre la vie qu'il enfante comme plus belle et plus haute que les autres, c'est l'asseoir bien audessus de toutes les passions et de tous les devoirs, dans une région sublime, sur un trône, d'où il brille comme une lumière, comme une consolation, comme une espérance, et attire à lui tous les cœurs. Peutêtre ce monde est-il celui des artistes; il n'est point celui des hommes ordinaires. Peut-être est-il conforme à la nature; nous faisons fléchir la nature devant l'intérêt de la société. Georges Sand peint des femmes passionnées; peignez-nous d'honnêtes fem

mes. Georges Sand donne envie d'être amoureux; donnez-nous envie de nous marier.

« Cela a des inconvénients, il est vrai; l'art en souffre, si le public y gagne. Si vos personnages seront de meilleur exemple, vos ouvrages seront de moindre prix. Il n'importe. Vous vous résignerez en songeant que vous êtes moral. Vos amoureux seront fades, car le seul intérêt qu'offre leur âge, c'est la violence de la passion, et vous ne pouvez peindre la passion. Dans Nicolas Nickleby, vous montrerez deux honnêtes jeunes gens, semblables à tous les jeunes gens, épousant deux honnêtes jeunes filles, semblables à toutes les jeunes filles; dans Martin Chuzzlewit, vous montrerez encore deux honnêtes jeunes gens, parfaitement semblables aux deux premiers, épousant aussi deux honnêtes jeunes filles, parfaitement semblables aux deux premières; dans Dombey and son, il n'y aura qu'un honnête jeune homme et une honnête jeune fille. Du reste, nulle différence. Et ainsi de suite. Le nombre de vos mariages est étonnant, et vous en faites assez pour peupler l'Angleterre. Ce qui est plus curieux encore, c'est qu'ils sont tous désintéressés, et que le jeune homme et la jeune fille font fi de l'argent avec la même sincérité qu'à l'Opéra-Comique. Vous insisterez infiniment sur le joli embarras des fiancées, sur les larmes des mères, sur les pleurs de toute l'assistance, sur les scènes réjouissantes et touchantes du dîner; vous ferez une foule de tableaux de famille, tous attendrissants, et presque aussi agréables que

des peintures de paravents. Le lecteur sera ému ; il pensera voir les amours innocents et les gentillesses vertueuses d'un petit garçon et d'une petite fille de dix ans. Il aura envie de leur dire: Bons petits amis, continuez à être bien sages. Mais le principal intérêt sera pour les jeunes filles, qui apprendront de quelle manière empressée, et pourtant convenable, un prétendu doit faire sa cour. Si vous hasardez une séduction, comme dans Copperfield, vous ne raconterez pas le progrès, l'ardeur, les enivrements de l'amour; vous n'en peindrez que les misères, le désespoir et les remords. Si dans Copperfield et dans le Grillon du Foyer vous montrez un mariage troublé et une femme soupçonnée, vous vous hâterez de rendre la paix au mariage et l'innocence à la femme, et vous ferez par sa bouche un éloge du mariage si magnifique, qu'il pourrait servir de modèle à M. Émile Augier. Si dans Hard Times l'épouse va jusqu'au bord de la faute, elle s'arrêtera sur le bord de la faute. Si dans Dombey and son elle fuit la maison conjugale, elle restera pure, elle ne commettra que l'apparence de la faute, et elle traitera son amant de telle sorte qu'on souhaitera d'être le mari. Si enfin dans Copperfield vous racontez les troubles et les folies de l'amour, vous raillerez ce pauvre amour, vous peindrez ses petitesses, vous semblerez demander excuse au lecteur. Jamais vous n'oserez faire entendre le souffle ardent, généreux, indiscipliné, de la passion toute puissante; vous ferez d'elle un jouet d'enfants honnêtes ou un joli bijou de mariage.

Mais le mariage vous donnera des compensations. Votre génie d'observateur et votre goût pour les détails s'exerceront sur les scènes de la vie domestique: vous excellerez à peindre un coin du feu, une causerie de famille, des enfants sur les genoux de leur mère, un mari qui le soir veille à la lampe près de sa femme endormie, le cœur rempli de joie et de courage, parce qu'il sent qu'il travaille pour les siens. Vous trouverez de charmants ou sérieux portraits de femmes: celui de Dora, qui reste petite fille dans le mariage, dont les mutineries, les gentillesses, les enfantillages, les rires, égayent le ménage comme un gazouillement d'oiseau; celui d'Esther dont la parfaite bonté et la divine innocence ne peuvent être atteintes par les épreuves ni par les années; celui d'Agnès, si calme, si patiente, si sensée, si pure, si digne de respect, véritable modèle de l'épouse, capable à elle seule de mériter au mariage le respect que nous demandons pour lui. Et lorsqu'enfin il faudra montrer la beauté de ces devoirs, la grandeur de cette amitié conjugale, la profondeur du sentiment qu'ont creusé dix années de confiance, de soins et de dévouement réciproque, vous trouverez dans votre sensibilité, si longtemps contenue, des discours aussi pathétiques que les plus fortes paroles de l'amour'.

« Les pires romans ne sont pas ceux qui le glorifient. Il faut habiter l'autre côté du détroit pour oser ce que nos voisins ont osé. Chez nous, quelques-uns

1. David Copperfield, scène du docteur et de sa femme.

admirent Balzac, mais personne ne voudrait le tolérer. Quelques-uns prétendront qu'il n'est pas immoral; mais tout le monde reconnaîtra qu'il fait toujours et partout abstraction de la morale. Georges Sand n'a célébré qu'une passion; Balzac les a célébrées toutes. Il les a considérées comme des forces,.et, jugeant que la force est belle, il les a soutenues de leurs causes, entourées de leurs circonstances, développées dans leurs effets, poussées à l'extrême, et agrandies jusqu'à en faire des monstres sublimes, plus systématiques et plus vrais que la vérité. Nous n'admettons pas qu'un homme se réduise à n'être qu'un artiste. Nous ne voulons pas qu'il se sépare de sa conscience et perde de vue la pratique. Nous ne consentirons jamais à voir que tel est le trait dominant de notre Shakspeare: nous ne reconnaîtrons pas que, comme Balzac, il mène ses héros au crime et à la monomanie, et que, comme lui, il habite le pays de la pure logique et de la pure imagination. Nous sommes bien changés depuis le seizième siècle, et nous condamnons aujourd'hui ce que nous approuvions autrefois. Nous ne voulons pas que le lecteur s'intéresse à un avare, à un ambitieux, à un débauché. Et il s'intéresse à lui lorsque l'écrivain, sans louer ni blâmer, s'attache à expliquer le tempérament, l'éducation, la forme du crâne et les habitudes d'esprit qui ont creusé en lui cette inclination primitive, à faire toucher la nécessité de ses effets, à la conduire à travers toutes ses périodes, à montrer la puissance plus grande que l'âge et le contentement lui communiquent, à exposer la

« iepriekšējāTurpināt »