Lapas attēli
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qui s'est trouvée dans son vrai monde en imitant et en produisant leur déraison.

A quoi peut s'appliquer cette force? Les imaginations diffèrent, non-seulement par leur nature, mais encore par leur objet; après avoir mesuré leur énergie, il faut circonscrire leur domaine; dans le large monde, l'artiste se fait un monde ; involontairement il choisit une classe d'objets qu'il préfère; les autres le laissent froid, et il ne les aperçoit pas. Dickens n'aperçoit pas les choses grandes : ceci est le second trait de son imagination. L'enthousiasme le prend à propos de tout, particulièrement à propos des objets vulgaires, d'une boutique de bric-à-brac, d'une enseigne, d'un crieur public. Il a la vigueur, il n'atteint pas à la beauté. Son instrument rend des sons vibrants, il n'a point de sons harmonieux. S'il décrit une maison, il la dessinera avec une netteté de géomètre, il en mettra toutes les couleurs en relief, il découvrira une physionomie et une pensée dans les contrevents et dans les gouttières, il fera de la maison une sorte d'être humain, grimaçant et énergique, qui saisira le regard et qu'on n'oubliera plus; mais il ne verra pas la noblesse des longues lignes monumentales, la calme majesté des grandes ombres largement découpées par les crépis blancs, la joie de la lumière qui les couvre, et devient palpable dans les noirs enfoncements où elle plonge, comme pour se reposer et s'endormir. S'il peint un paysage, il apercevra les cénelles qui parsèment de leurs grains rouges les haies dépouillées, le petite vapeur qui

s'exhale d'un ruisseau lointain, les mouvements d'un insecte dans l'herbe ; mais la grande poésie qu'eût saisie l'auteur de Valentine et d'André lui échappera. Il se perdra, comme les peintres de son pays, dans l'observation minutieuse et passionnée des petites choses; il n'aura point l'amour des belles formes et des belles couleurs. Il ne sentira pas que le bleu et le rouge, la ligne droite et la ligne courbe, suffisent pour composer des concerts immenses qui, parmi tant d'expressions diverses, gardent une sérénité grandiose, et ouvrent au plus profond de l'âme une source de santé et de bonheur. C'est le bonheur qui lui manque; son inspiration est une verve fiévreuse qui ne choisit pas ses objets, qui ranime au hasard les laideurs, les vulgarités, les sottises, et qui, en communiquant à ses créations je ne sais quelle vie saccadée et violente, leur ôte le bien-être et l'harmonie qu'en d'autres mains elles auraient pu garder. Miss Ruth est une fort gentille ménagère; elle met son tablier quel trésor que ce tablier! Dickens le tourne et le retourne, comme un commis de nouveautés qui voudrait le vendre. Elle le tient dans sa main, puis elle l'attache autour de sa taille, elle lie les cordons, elle l'étale, elle le froisse pour qu'il tombe bien. Que ne fait-elle pas de son tablier! Et quel est l'enchantement de Dickens pendant ces opérations innocentes! I pousse de petits cris d'espièglerie joyeuse « Oh! bon Dien, quel méchant petit corsage!» Il apostrophe la bague, il gambade autour de Ruth, il frappe dans ses mains de plaisir. C'est

bien pis lorsqu'elle fabrique le pudding; il y a là une scène entière, dramatique et lyrique, avec exclamations, protase, péripéties, aussi complète qu'une tragédie grecque. Ces gentillesses de cuisine et ces mièvreries d'imagination font penser (par contraste) aux tableaux d'intérieur de George Sand. Vous rappelezvous la chambre de la fleuriste Geneviève? Elle fabrique, comme Ruth, un objet utile, très-utile, puis que demain elle vendra dix sous; mais cet objet est une rose épanouie, dont les frêles pétales s'enroulent sous ses doigts comme sous les doigts d'une fée, dont la fraîche corolle s'empourpre d'un vermillon aussi tendre que celui de ses joues, frêle chef-d'œuvre éclos un soir d'émotion poétique, pendant que de sa fenêtre elle contemple au ciel les yeux perçants et divins des étoiles, et qu'au fond de son cœur vierge murmure le premier souffle de l'amour. Pour s'exalter, Dickens n'a pas besoin d'un pareil spectacle: une diligence le jette dans le dithyrambe; les roues, les éclaboussures, les sifflements du fouet, le tintamarre des chevaux, des harnais et de la machine, en voilà assez pour le mettre hors de lui. Il ressent par sympathie le mouvement de la voiture; elle l'emporte avec elle; il entend le galop des chevaux dans sa cervelle, et part en lançant cette ode, qui semble sortir de la trompette du conducteur,

En avant sous les arbres qui se resserrent! Nous ne pensons pas à la noire obscurité de leurs ombres; nous franchissons du même galop clartés, ténèbres, comme si la lu

mière de Londres à cinquante milles d'ici suffisait, et au delà, pour illuminer la route! En avant par delà la prairie du village, où s'attardent les joueurs de paume, où chaque petite marque laissée sur le frais gazon par les raquettes, les balles ou les pieds des joueurs, répand son parfum dans la nuit! En avant, avec quatre chevaux frais, par delà l'auberge du Cerf-sans-Cornes, où les buveurs s'assemblent à la porte avec admiration, pendant que l'attelage quitté, les traits pendants, s'en va à l'aventure du côté de la mare, poursuivi par la clameur d'une douzaine de gosiers et par les petits enfants qui courent en volontaires pour ie ramener sur la route! A présent, c'est le vieux pont de pierre qui résonne sous le sabot des chevaux, parmi les étincelles qui jaillissent. Puis nous voilà encore sur la route ombragée, puis sous la porte ouverte, plus loin, bien loin au delà, dans la campagne. Hurrah!

Holà ho! là-bas, derrière, arrête cette trompette un instant; viens-ici, conducteur, accroche-toi à la bâche, grimpe sur la banquette. On a besoin de toi pour tâter ce panier. Nous ne ralentirons point pour cela le pas de nos bêtes; n'ayez crainte. Nous leur mettrons plutôt le feu au ventre pour la plus grande gloire du festin. Ah! il y a longtemps que cette bouteille de vieux vin n'a senti le contact du souffle tiède de la nuit, comptez-y. Et la liqueur est merveilleusement bonne pour humecter le gosier d'un donneur de cor. Essaye-la; n'aie pas peur, Bill, de lever le coude. Maintenant reprends haleine et essaye mon cor, Bill. Voilà de la musique! voilà un air!« Là-bas, là-bas, bien loin derrière les collines. Ma foi, oui! hurrah! la jument ombrageuse est toute gaie cette nuit. Hurrah! hurrah!

Voyez là-haut, la lune ! Toute haute d'abord, avant que nous l'ayons aperçue. Sous sa lumière, la terre réfléchit les objets comme l'eau. Les haies, les arbres, les toits bas des chaumières, les clochers d'églises, les troncs mutilés, les jeunes pousses florissantes, sont devenus vaniteux tout d'un coup et ont envie de contempler leurs belles images jusqu'au matin. Là-bas, les peupliers bruissent, pour que leurs feuilles

tremblotantes puissent se voir sur le sol; le chêne, point; il ne lui convient pas de trembler. Campé dans sa vieille solidité massive, il veille sur lui-même, sans remuer un rameau, La porte moussue, mal assise sur ses gonds grinçants, boiteuse et décrépite, se balance devant son mirage, comme une douairière fantastique, pendant que notre propre fantôme voyage avec nous. Hurrah! hurrah! à travers fossés et broussailles, sur la terre unie et sur le champ labouré, sur le flanc roide de la colline, sur le flanc plus roide encore de la muraille, comme si c'était un spectre chasseur !

Des nuages aussi ! Et sur la vallée un brouillard! non pas un lourd brouillard qui la cache, mais une vapeur légère, aérienne, pareille à un voile de gaze, qui, pour nos yeux d'admirateurs modestes, ajoute un charme aux beautés devant lesquelles il est étendu, ainsi qu'ont toujours fait les voiles de vraie gaze, ainsi qu'ils feront toujours, oui, ne vous déplaise, quand nous serions le pape en personne. Hurrah! Eh bien! voilà que nous voyageons comme la lune elle-même. Cachés dans un bouquet d'arbres, la minute d'après dans une tache de vapeur, puis reparaissant en pleine lumière, parfois effacés, mais avançant toujours, notre course répète la sienne. Hurrah! Une joute contre la lune! Holà ho! hurrah!

La beauté de la nuit ne se sent plus qu'à peine, quand le jour arrive bondissant. Hurrah! Deux relais, et les routes de la campagne se changent presque en une rue continue. Hurrah! par là des jardins de maraîchers, des files de maisons, des villas, des terrasses, des places, des équipages, des chariots, des charrettes, des ouvriers matineux, des vagabonds attardés, des ivrognes, des porteurs à jeun; par delà toutes les formes de la brique et du mortier, puis sur le pavé bruyant, qui force les gens juchés sur la banquette à se bien tenir. Hurrah! à travers des tours et détours sans fin, dans le labyrinthe des rues sans nombre, jusqu'à ce qu'on atteigne une vieille cour d'hôtellerie, et que Tom Pinch descendu, tout assourdi et tout étourdi, se trouve à Londres'!

1. Yoho, among the gathering shades; making of no account

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