Lapas attēli
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ferez d'elle un jouet d'enfants honnêtes ou un joli bijou de mariage. Mais le mariage vous donnera des compensations. Votre génie d'observateur et votre goût pour les détails s'exerceront sur les scènes de la vie domestique : vous excellerez à peindre un coin du feu, une causerie de famille, des enfants sur les genoux de leur mère, un mari qui, le soir, veille à la lampe près de sa femme endormie, le cœur rempli de joie et de courage, parce qu'il sent qu'il travaille pour les siens. Vous trouverez de charmants ou sérieux portraits de femmes: celui de Dora, qui reste petite fille dans le mariage, dont les mutineries, les gentillesses, les enfantillages, les rires, égayent le ménage comme un gazouillement d'oiseau; celui d'Esther, dont la parfaite bonté et la divine innocence ne peuvent être alteintes par les épreuves ni par les années; celui d'Agnès, si calme, si patiente, si sensée, si pure, si digne de respect, véritable modèle de l'épouse, capable à elle seule de mériter au mariage le respect que nous demandons pour lui. Et, lorsque enfin il faudra montrer la beauté de ces devoirs, la grandeur de celle amitié conjugale, la profondeur du sentiment qu'ont creusé dix années de confiance, de soins et de dévouement réciproques, vous trouverez dans votre sensibilité, si longtemps contenue, des discours aussi palhéliques que les plus fortes paroles de l'amour1.

« Les pires romans ne sont pas ceux qui le glo

1. David Copperfield, scène du docteur et de sa femme.

rifient. Il faut habiter l'autre côté du détroit pour oser ce que nos voisin ont osé. Chez nous, quelques-uns admirent Balzac, mais personne ne voudrait le tolérer. Quelques-uns prétendront qu'il n'est pas immoral; mais tout le monde reconnaîtra qu'il fait toujours et partout abstraction de la morale. George Sand n'a célébré qu'une passion; Balzac les a célébrées toutes. Il les a considérées comme des forces, et, jugeant que la force est belle, il les a soutenues de leurs causes, entourées de leurs circonstances, développées dans leurs effets, poussées à l'extrême, et agrandies jusqu'à en faire des monstres sublimes, plus systématiques et plus vrais que la vérité. Nous n'admettons pas qu'un homme se réduise à n'être qu'un artiste. Nous ne voulons pas qu'il se sépare de sa conscience et perde de vue la pratique. Nous ne consentirons jamais à voir que tel est le trait dominant de notre Shakspeare: nous ne reconnaîtrons pas que, comme Balzac, il mène ses héros au crime et à la monomanie, et que, comme lui, il habite le pays de la pure logique et de la pure imagination. Nous sommes bien changés depuis le seizième siècle, et nous condamnons aujourd'hui ce que nous approuvions autrefois. Nous ne voulons pas que le lecteur s'intéresse à un avare, à un ambitieux, à un débauché. Et il s'intéresse à lui, lorsque l'écrivain, sans louer ni blâmer, s'attache à expliquer le tempérament, l'éducation, la forme d'intelligence et les habitudes d'esprit qui ont creusé en lui cette inclinaison primitive, à faire toucher la nécessité de ses effets, à la conduire à travers toutes ses

périodes, à montrer la puissance plus grande que l'âge et le contentement lui communiquent, à exposer la chute irrésistible qui précipite l'homme dans la folie ou dans la mort. Le lecteur, saisi par cette logique, admire l'œuvre qu'elle a faite, et oublie de s'indigner contre le personnage qu'elle a créé; il dit le bel avare! et il ne songe plus aux maux que l'avarice produit. Il devient philosophe et artiste, et ne se souvient plus qu'il est honnête homme. Souvenez-vous toujours que vous l'êtes, et renoncez aux beautés qui peuvent fleurir sur ce sol corrompu.

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« Entre celles-ci, la première est la grandeur. II faut s'intéresser aux passions pour comprendre toute leur étendue, pour compter tous leurs ressorts, pour décrire tout leur cours. Ce sont des maladies; si on se contente de les maudire, on ne les connaîtra pas; si l'on n'est point physiologiste, si l'on ne se prend pas d'amour pour elles, si l'on ne fait pas d'elles ses héros, si l'on ne tressaille pas de plaisir à la vue d'un beau trait d'avarice comme à la vue d'un symptôme précieux, on ne peut dérouler leur vaste système et étaler leur fatale grandeur. Vous n'aurez point ce mérite immoral; d'ailleurs, ilñe convient point à votre genre d'esprit. Votre extrême sensibilité et votre ironie toujours prête ont besoin de s'exercer; vous n'avez pas assez de calme pour pénétrer jusqu'au fond d'un caractère; vous aimez mieux vous altendrir sur lui ou le railler; vous le prenez à partie, vous vous faites son adversaire ou son ami, vous le rendez odieux ou touchant; vous ne le peignez pas; vous

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êtes trop passionné et vous n'êtes pas assez curieux. D'autre part, la ténacité de votre imagination, la violence et la fixité avec laquelle vous enfoncez votre pensée dans le détail que vous voulez saisir, limitent votre connaissance, vous arrêtent sur un trait unique, vous empêchent de visiter toutes les parties d'une âme et d'en sonder la profondeur. Vous avez l'imagination trop vive, et vous ne l'avez pas assez vaste. Voici donc les caractères que vous allez tracer. Vous saisirez un personnage dans une attitude, vous ne verrez de lui que celle-là, et vous la lui imposerez depuis le commencement jusqu'au bout. Son visage aura toujours la même expression, el cette expression sera presque toujours une grimace. Ils auront une sorte de tic qui ne les quittera plus. Miss Mercy rira à chaque parole; Marc Tapley prononcera à chaque scène son mot gaillardement; mistress Gamp parlera incessamment de Mme Harris; le docteur Chillip ne fera pas une seule action qui ne soit timide; M. Micawber prononcera pendant trois volumes le même. genre de phrases emphatiques, et passera cinq ou six cents fois, avec une brusquerie comique, de la joie à la douleur. Chacun de vos personnages sera un vice, une verlu, un ridicule incarné, et la passion que vous lui prêterez sera si fréquente, si invariable, si absorbante, qu'il ne ressemblera plus à un homme vivant, mais à une abstraction habillée en homme. Les Français ont un Tartufe comme votre M. Pecksniff; mais l'hypocrisie qu'il affiche n'a pas détruit le reste de son être; s'il prête à la comédie par son vice, il

appartient à l'humanité par sa nature. Il a, outre sa grimace, un caractère et un tempérament; il est gros, fort, rouge, brutal, sensuel; la vigueur de son sang le rend audacieux; son audace le rend calme; son audace, son calme, sa promptitude de décision, son mépris des hommes, font de lui, un grand politique. Quand il a occupé le public pendant cinq actes, il offre encore au psychologue et au médecin plus d'une chose à étudier. Votre Pecksniff n'offrira rien ni au médecin ni au psychologue. Il ne servira qu'à instruire et à amuser le public. Il sera une satire vivante de l'hypocrisie, et rien de plus. Si vous lui donnez le goût de l'eau-de-vie, ce sera gratuitement; dans le tempérament que vous lui prêtez, rien ne l'exige il est si enfoncé dans la tartuferie, dans la douceur, dans le beau style, dans les phrases littéraires, dans la moralité tendre, que le reste de sa nature a disparu : c'est un masque et ce n'est plus un homme. Mais ce masque est si grotesque et si énergique qu'il sera utile au public, et diminuera le nombres des hypocrites. C'est notre but, c'est le vôtre, et le recueil de vos caractères aura plutôt les effets d'un livre de satires que ceux d'une galerie de portraits.

« Par la même raison, ces satires, quoique réunies, resteront effectivement détachées, et ne formeront point de véritable ensemble. Vous avez commencé par des essais, et vos grands romans ne sont que des essais, cousus les uns au bout des autres. Le scul moyen de composer un tout naturel et solide,

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