Lapas attēli
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à lui, et je finis ainsi par le mettre à nu. J'ai l'air de considérer vingt cas différents, et, dans le fond, je n'en considère qu'un seul; j'ai l'air de procéder par addition, et, en somme, je n'opère que par soustraction. Tous les procédés de l'induction sont donc des moyens d'abstraire, et toutes les œuvres de l'induction sont donc des liaisons d'abstraits.

VII

Nous voyons maintenant les deux grands moments de la science et les deux grandes apparences de la nature. Il y a deux opérations, l'expérience et l'abstraction; il y a deux royaumes, celui des faits complexes et celui des éléments simples. Le premier est l'effet, le second la cause. Le premier est contenu dans le second et s'en déduit, comme une conséquence de son principe. Tous deux s'équivalent; ils sont une seule chose considérée sous deux aspects. Ce magnifique monde mouvant, ce chaos tumultueux d'événements entre-croisés, cette vie incessante,infiniment variée et multiple, se réduisent à quelques éléments et à leurs rapports. Tout notre effort consiste à passer de l'un à l'autre, du complexe au simple, des faits aux lois, des expériences aux formules. Et la raison en est visible; car ce fait que j'aperçois par les sens ou la conscience n'est qu'une tranche arbitraire que mes sens ou ma conscience découpent dans la trame infinie et continue de l'être. S'ils étaient con

struits autrement, ils en intercepteraient une autre ; c'est le hasard de leur structure qui a déterminé cellelà. Ils sont comme un compas ouvert, qui pourrait l'être moins, et qui pourrait l'être davantage. Le cercle qu'ils décrivent n'est pas naturel, mais artificiel. Il l'est si bien, qu'il l'est en deux manières, à l'extérieur et à l'intérieur. Car, lorsque je constate un événement, je l'isole artificiellement de son entourage naturel, et je le compose artificiellement d'éléments qui ne sont point un assemblage naturel. Quand je vois une pierre qui tombe, je sépare la chute des circonstances antérieures qui réellement lui sont jointes, et je mets ensemble la chute, la forme, la structure, la couleur, le son et vingt autres circonstances qui réellement ne sont point liées. Un faitest donc un amas arbitraire, en même temps qu'une coupure arbitraire, c'est-à-dire un groupe factice, qui sépare ce qui est uni, et unit ce qui est séparé'. Ainsi, tant que nous ne regardons la nature que par l'observation seule, nous ne la voyons pas telle qu'elle est: nous n'avons d'elle qu'une idée provisoire et illusoire. Elle est proprement une tapisserie que nous n'apercevons qu'à l'envers. Voilà pourquoi nous tâchons de la retourner. Nous nous efforçons de démêler des lois, c'est-à-dire des groupes naturels qui soient effectivement distincts de leur entourage et qui soient composés d'éléments effectivement unis

1. « Un fait, me disait un physicien éminent, est une superposition de lois. >>

Nous découvrons des couples, c'est-à-dire des composés réels et des liaisons réelles. Nous passons de l'accidentel au nécessaire, du relatifà l'absolu, de l'apparence à la vérité; et, ces premiers couples trouvés, nous pratiquons sur eux la même opération que sur les faits. Car, à un moindre degré, ils ont la même nature. Quoique plus abstraits, ils sont encore complexes. Ils peuvent être décomposés et expliqués. Ils ont une raison d'être. Il y a quelque cause qui les construit et les unit. Il y a lieu pour eux, comme pour les faits, de chercher les éléments générateurs en qui ils peuvent se résoudre et de qui ils peuvent se déduire, et l'opération doit continuer jusqu'à ce qu'on soit arrivé à des éléments tout à fait simples, c'est-à-dire tels que leur décomposition soit contradictoire. Que nous puissions les trouver ou non, ils existent; l'axiome des causes serait démenti, s'ils manquaient. Il y a donc des éléments indécomposables, desquels dérivent les lois les plus générales, et, de celles-ci, les lois particulières et, de ces lois, les faits que nous observons, ainsi qu'il y a en géométrie deux ou trois notions primitives, desquelles dérivent les propriétés des lignes, et, de celles-ci, les propriétés des surfaces, des solides et des formes innombrables que la nature peut effectuer ou l'esprit imaginer. Nous pouvons maintenant comprendre la vertu et le sens de cet axiome des causes qui régit toutes choses, et que Mill a mutilé. Il y a une force intérieure et contraignante qui suscite tout événement, qui lie tout composé, qui engendre toute donnée. Cela signifie d'une

part, qu'il y a une raison à toute chose, que tout fait a sa loi; que tout composé se réduit en simples; que tout produit implique des facteurs; que toute qualité et toute existence doivent se déduire de quelque terme supérieur et antérieur. Et cela signifie, d'autre part, que le produit équivaut aux facteurs, que tous deux ne sont qu'une même chose sous deux apparences; que la cause ne diffère pas de l'effet; que les puissances génératrices ne sont que les propriétés élémentaires; que la force active, par laquelle nous figurons la nature, n'est que la nécessité logique qui transforme l'un dans l'autre le composé et le simple, le fait et la loi. Par là nous désignons d'avance le terme de toute science, et nous tenons la puissante formule qui, établissant la liaison invincible et la production spontanée des êtres, pose dans la nature le ressort de la nature, en même temps qu'elle enfonce et serre au cœur de toute chose vivante les tenailles d'acier de la nécessité.

VIII

Pouvons-nous connaître ces éléments premiers ? Pour mon compte, je le pense, et la raison en est qu'étant des abstraits, ils ne sont pas situés en dehors des faits, mais compris en eux, en telle sorte qu'il n'y a qu'à les en retirer. Bien plus, étant les plus abstraits, c'est-à-dire les plus généraux de tous, il n'y a pas de faits qui ne les comprennent et dont on

ne puisse les extraire. Si limitée que soit notre expérience, nous pouvons donc les atteindre, et c'est d'après cette remarque que les modernes métaphysiciens d'Allemagne ont tenté leurs grandes constructions. Ils ont compris qu'il y a des notions simples, c'est-à-dire des abstraits indécomposables, que leurs combinaisons engendrent le reste, et que les règles de leurs unions ou de leurs contrariétés mutuelles sont des lois premières de l'univers. Ils ont essayé de les atteindre et de retrouver par la pensée pure le monde tel que l'observation nous l'a montré. Ils ont échoué à demi, et leur gigantesque bâtisse, toute factice et fragile, pend en ruine, semblable à ces échafaudages provisoires qui ne servent qu'à marquer le plan d'un édifice futur. C'est qu'avec un sens profond de notre puissance, ils n'ont point eu la vue exacte de nos limites. Car nous sommes débordés de tous côtés par l'infinité du temps et de l'espace; nous nous trouvons jetés dans ce monstrueux univers comme un coquillage au bord d'une grève, ou comme une fourmi au pied d'un talus. En ceci, Mill dit vrai le hasard se rencontre au terme de toutes nos connaissances comme au commencement de toutes nos données; nous avons beau faire, nous ne pouvons que remonter, et par conjecture encore, jusqu'à un état initial; mais cet état dépend d'un précédent, qui dépend d'un autre, et ainsi de suite, en sorte que nous sommes obligés de l'accepter comme une pure donnée, et de renoncer à le déduire, quoique nous sachions qu'il doive être déduit. Il en est ainsi dans

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