Lapas attēli
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l'accidentel, la cause par l'antécédent, et qui consiste à prétendre que toute assertion utile a pour effet de former un couple, c'est-à-dire de joindre deux faits qui, par leur nature, sont séparés.

22.

L'ABSTRACTION

I

- Un abîme de hasard et un abîme d'ignorance. La perspective est sombre : il n'importe, si elle est vraie. A tout le moins, cette théorie de la science est celle de la science anglaise. Rarement, je vous l'accorde, un penseur a mieux résumé, par sa doctrine, la pratique de son pays; rarement un homme a mieux représenté, par ses négations et ses découvertes, les limites et la portée de sa race. Les procédés dont celui-ci compose la science sont ceux où vous excellez par-dessus tous les autres, et les procédés qu'il exclut de la science sont ceux qui vous manquent plus qu'à personne. Il a décrit l'esprit anglais, en croyant décrire l'esprit humain. C'est là sa gloire, mais c'est aussi là sa faiblesse. Il y a dans votre idée de la connaissance une lacune qui, incessamment ajoutée à elle-même, finit par creuser ce gouffre de hasard du fond duquel, selon lui, les choses naissent, et ce gouffre d'ignorance au bord duquel, selon lui, notre science doit s'arrêter. Et voyez ce qui en advient. En retranchant de la science la connaissance des pre

mières causes, c'est-à-dire des choses divines, vous réduisez l'homme à devenir sceptique, positif, utilitaire, s'il a l'esprit sec; ou bien (mystique, exalté méthodiste, s'il a l'imagination vive. Dans ce grand vide inconnu que vous placez au delà de notre petit monde, les gens à tête chaude ou à conscience triste peuvent loger tous leurs rêves, et les hommes à jugement froid, désespérant d'y rien atteindre, n'ont plus qu'à se rabattre dans la recherche des recettes pratiques qui peuvent améliorer notre condition. Il me semble que le plus souvent ces deux dispositions se rencontrent dans une tête anglaise. L'esprit religieux et l'esprit positif y vivent côte à côte et séparés. Cela fait un mélange bizarre, et j'avoue que j'aime mieux la manière dont les Allemands ont concilié la science et la foi. Mais leur philosophie n'est qu'une poésie mal écrite. Peut-être. Mais ce qu'ils appellent raison ou intuition des principes n'est que la puissance de bâtir des hypothèses. — Peut-être. Mais les systèmes qu'ils ont arrangés n'ont pas tenu devant l'expérience. Je vous abandonne leur œuvre. Mais leur absolu, leur sujet, leur objet et le reste ne sont que de grands mots. · Je vous abandonne leur style. -Alors que gardezvous? Leur idée de la cause. Vous croyez, comme eux, qu'on découvre les causes par une révélation de la raison? Point du tout. Vous croyez comme nous qu'on découvre les causes par la simple expérience? - Pas davantage. Vous pensez qu'il y a une faculté autre que l'expérience et la rai

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son propre à découvrir les causes?

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croyez qu'il y a une opération moyenne, située entre l'illumination et l'observation, capable d'atteindre des principes, comme on l'assure de la première, capable d'atteindre des vérités, comme on l'éprouve pour la seconde? Oui. — Laquelle? -L'abstraction. Reprenons votre idée primitive; je tâcherai de dire en quoi je la trouve incomplète, et en quoi il me semble que vous mutilez l'esprit humain. Seulement, il faudra que vous m'accordiez de l'espace; ce sera tout un plaidoyer.

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Votre point de départ est bon en effet, l'homme ne connaît point les substances; il ne connaît ni l'esprit ni le corps: il n'aperçoit que ses états intérieurs, tous passagers et isolés; il s'en sert pour affirmer et désigner des états extérieurs, positions, mouvements, changements, et ne s'en sert pas pour autre chose. Il n'atteint que des faits, soit au dedans, soit au dehors, tantôt caducs, quand son impression ne se répète pas, tantôt permanents, quand son impression, maintes fois répétée, lui fait supposer qu'elle sera répétée toutes les fois qu'il voudra l'avoir. Il ne saisit que des couleurs, des sons, des résistances, des mouvements, tantôt momentanés et variables, tantôt semblables à eux-mêmes et renouvelés. Il ne suppose des qualités et propriétés que par un artifice de langage, et pour grouper plus commodément des faits.

Nous allons même plus loin que vous nous pensons qu'il n'y a ni esprits ni corps, mais simplement des groupes de mouvements présents ou possibles, et des groupes de pensées présentes ou possibles. Nous croyons qu'il n'y a point de substances, mais seulement des systèmes de faits. Nous regardons l'idée de substance comme une illusion psychologique. Nous considérons la substance, la force et tous les êtres métaphysiques des modernes comme un reste des entités scolastiques. Nous pensons qu'il n'y a rien au monde que des faits et des lois, c'est-à-dire des événements et leurs rapports, et nous reconnaissons comme vous que toute connaissance consiste d'abord à lier ou à additionner des faits. Mais, cela terminé, une nouvelle opération commence, la plus féconde de toules, et qui consiste à décomposer ces données complexes en données simples. Une faculté magnifique apparaît, source du langage, interprète de la nature, mère des religions et des philosophies, seule distinction véritable, qui, selon son degré, sépare l'homme de la brute, et les grands hommes des petits je veux dire l'abstraction, qui est le pouvoir d'isoler les éléments des faits et de les considérer à part. Mes yeux suivent le contour d'un carré, et l'abstraction en isole les deux propriétés constitutives, l'égalité des côtés et des angles. Mes doigts touchent la surface d'un cylindre, et l'abstraction en isole les deux éléments générateurs, la notion de rectangle et la révolution de ce rectangle autour d'un de ses côtés pris comme axe. Cent mille expé

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