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cette imagination si lucide, si violente, si passionnément fixée sur l'objet qu'elle se choisit, si profondément touchée par les petites choses, si uniquement attachée aux détails et aux sentiments de la vie vulgaire, si féconde en émotions incessantes, si puissante pour éveiller la pitié douloureuse, la raillerie sarcastique et la gaieté nerveuse, on se représentera une rue de Londres par un soir pluvieux d'hiver. La lumière flamboyante du gaz brûle les yeux, ruisselle à travers les vitres des boutiques, rejaillit sur les figures qui passent, et sa clarté crue, s'enfonçant dans leurs traits contractés, met en relief, avec un détail infini et une énergie blessante, leurs rides, leurs difformités, leur expression tourmentée. Si, dans cette foule pressée et salie, vous découvrez un frais visage de jeune fille, cette lumière artificielle le charge de tons excessifs et faux; elle le détache sur l'ombre pluvieuse et froide avec une auréole étrange. L'esprit est frappé d'étonnement: mais on porte la main à ses yeux pour les couvrir, et, en admirant la force de cette lumière, on pense involontairement au vrai soleil de la campagne et à la tranquille beauté du jour.

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LE PUBLIC.

Plantez ce talent dans une terre anglaise; l'opinion littéraire du pays dirigera sa croissance et expliquera ses fruits. Car cette opinion publique est son opinion privée; il ne la subit pas comme une contrainte extérieure, il la sent en lui comme une persuasion intime; elle ne le gêne pas, elle le développe, et ne fait que lui répéter tout haut ce qu'il se dit tout bas.

Voici les conseils de ce goût public, d'autant plus puissants qu'ils s'accordaient avec son inclination naturelle, et le poussaient dans son propre sens :

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Soyez moral. Il faut que tous vos romans puissent être lus par les jeunes filles. Nous sommes des esprits pratiques, et nous ne voulons pas que la littérature corrompe la vie pratique. Nous avons la religion de la famille, et nous ne voulons pas que la littérature peigne les passions qui attaquent la vie de famille. Nous sommes protestants, et nous avons gardé quelque chose de la sévérité de nos pères contre la joie et les passions. Entre celles-ci, l'amour est la plus mauvaise. Gardez-vous à cet endroit de ressembler à la plus illustre de nos voisines. L'amour.

est le héros de tous les romans de George Sand. Marié ou non marié, peu importe; elle le trouve beau, saint, sublime par lui-même, et elle le dit. Ne le croyez pas, et, si vous le croyez, ne le dites point. Cela est d'un mauvais exemple. L'amour, ainsi présenté, se subordonne le mariage. Il y aboutit, il le brise, il se passe de lui, selon les circonstances; mais, quoi qu'il fasse, il le traite en inférieur; il ne lui reconnaît de sainteté que celle qu'il lui donne. et le juge impie s'il s'en trouve exclu. Le roman ainsi conçu est une plaidoirie en faveur du cœur, de l'imagination, de l'enthousiasme et de la nature; mais il est souvent une plaidoirie contre la société et contre la loi; nous ne souffrons pas qu'on touche, de près ou de loin, à la société ni à la loi. Présenter un sentiment comme divin, incliner devant lui toutes les institutions, le promener à travers une suite d'actions généreuses, chanter avec une sorte d'inspiration héroïque les combats qu'il livre et les assauts qu'il soutient, l'enrichir de toutes les forces de l'éloquence, le couronner de toutes les fleurs de la poésie, c'est peindre la vie qu'il enfante comme plus belle et plus haute que les autres, c'est l'asseoir, bien au-dessus de toutes les passions et de tous les devoirs, dans une région sublime, sur un trône, d'où il brille comme une lumière, comme une consolation, comme une espérance, et attire à lui tous les cœurs. Peutêtre ce monde est-il celui des artistes; il n'est point celui des hommes ordinaires. Peut-être est-il conforme à la nature; nous faisons fléchir la nature

devant l'intérêt de la société. George Sand peint des femmes passionnées ; peignez-nous d'honnêtes femmes. George Sand donne envie d'être amoureux; donnez-nous envie de nous marier.

<< Cela a des inconvénients, il est vrai; l'art en souffre, si le public y gagne; si vos personnages donnent de meilleurs exemples, vos ouvrages seront de moindre prix. Il n'importe. Vous vous résignerez, en songeant que vous êtes moral. Vos amoureux seront fades, car le seul intérêt qu'offre leur âge, c'est la violence de la passion, et vous ne pouvez peindre la passion. Dans Nicolas Nickleby, vous montrerez deux honnêtes jeunes gens, semblables à tous les jeunes gens, épousant deux honnêtes jeunes filles, semblables à toutes les jeunes filles; dans Martin Chuzzlewit, vous montrerez encore deux honnêtes jeunes gens, parfaitement semblables aux deux prcmiers, épousant aussi deux honnêtes jeunes filles, parfaitement semblables aux deux premières; dans Dombey and son, il n'y aura qu'un honnête jeunc homme et une honnête jeune fille du reste, nulle différence. Et ainsi de suite. Le nombre de vos mariages est étonnant, et vous en faites assez pour peupler l'Angleterre. Ce qui est plus curieux encore, c'est qu'ils sont tous désintéressés, et que le jeune homme et la jeune fille font fi de l'argent avec la même sincérité qu'à l'Opéra-Comique. Vous insisterez infiniment sur le joli embaras des fiancées, sur les larmes des mères, sur les pleurs de toute l'assistance, sur les scènes réjouissantes et touchantes du

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diner; vous ferez une foule de tableaux de famille, tous altendrissants, et presque aussi agréables que des peintures de paravents. Le lecteur sera ému; il pensera voir les amours innocents et les gentillesses vertueuses d'un petit garçon et d'une petite fille de dix ans. Il aura envie de leur dire: Bons petits amis, continuez à être bien sages. Mais le principal intérêt sera pour les jeunes filles, qui apprendront de quelle manière empressée, et pourlant convenable, un prétendu doit faire sa cour. Si vous hasardez une séduction, comme dans Copperfield, vous ne raconterez pas le progrès, l'ardeur, les enivrements de l'amour; vous n'en peindrez que les misères, le désespoir et les remords. Si, dans Copperfield et dans le Grillon du Foyer, vous montrez un mariage troublé et une femme soupçonnée, vous vous hâtercz de rendre la paix au mariage et l'innocence à la femme, et vous ferez, par sa bouche, un éloge du mariage si magnifique qu'il pourrait servir de modèle à M. Émile Augier. Si, dans Hard Times, l'épouse va jusqu'au bord de la faute, elle s'arrêtera sur le bord de la faute. Si, dans Dombey and son, elle fuit la maison conjugale, elle restera pure, elle ne commettra que l'apparence de la faute, et elle traitera son amant de telle sorte qu'on souhaitera d'être le mari. Si enfin, dans Copperfield, vous racontez les troubles et les folies de l'amour, vous raillerez ce pauvre amour, vous peindrez ses petitesses, vous semblerez demander excuse au lecteur. Jamais vous n'oserez faire entendre le souffle ardent, généreux, indiscipliné, de la passion toute-puissante; vous

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