Lapas attēli
PDF
ePub

renvoyer le plaignant, lui refuser justice et l'injurier par-dessus le marché. Chaque année, quand nous lisons dans vos journaux le discours de la couronne, nous y trouvons la mention obligée de la divine Providence; celte mention arrive mécaniquement, comme l'apostrophe aux dieux immortels à la quatrième page d'un discours de rhétorique, et vous savez qu'un jour, la période pieuse ayant été omise, on fit tout exprès une seconde communication au parlement pour l'insérer. Toules ces tracasseries et toutes ces pédanteries indiquent à mon gré une monarchie céleste; naturellement, celle-ci ressemble à toutes les autres:

veux dire qu'elle s'appuie plus volontiers sur la radition et sur l'habitude que sur l'examen et la raison. Jamais monarchie n'invita les gens à vérifier ses titres. Comme d'ailleurs la vôtre est utile, voulue et morale, elle ne vous révolte pas; vous lui restez soumis sans difficulté, vous lui êtes attachés de cœur; vous craindriez, en la touchant, d'ébranler la constitution et la morale. Vous la laissez au plus haut des cieux, parmi les hommages publics; vous vous repliez, vous vous réduisez aux questions de fait, aux dissections menues, aux opérations de laboratoire. Vous allez cueillir des plantes et ramasser des coquilles. La science se trouve décapitée; mais tout est pour le mieux : car la vie pratique s'améliore, et le dogme reste intact.

III

Vous êtes bien Français, me dit-il; vous enjambez les faits, et vous voilà de prime saut installé dans une théorie. Sachez qu'il y a chez nous des penseurs, et pas bien loin d'ici, à Christ-Church par exemple. L'un d'eux, professeur de grec, a parlé si profondément de l'inspiration, de la création et des causes finales, qu'on l'a disgracié. Regardez ce petit recueil tout nouveau, Essays and Reviews; vos libertés philosophiques du dernier siècle, les conclusions récentes de la géologie et de la cosmogonie, les hardiesses de l'exégèse allemande y sont en raccourci. Plusieurs choses y manquent, entre autres les polissonneries de Voltaire, le jargon nébuleux d'outreRhin et la grossièreté prosaïque de M. Comte; à mon gré, la perte est petite. Attendez vingt ans, vous trouverez à Londres les idées de Paris et de Berlin. - Mais ce seront les idées de Paris et de Berlin. Qu'avez-vous d'original? Stuart Mill.—Qu'est-ce que Stuart Mill? -Unpolitique. Son pelit écrit On liberty est aussi bon que le Contrat social de votre Rousseau est mauvais. - C'est beaucoup dire. - Non, car Mill conclut aussi fortement à l'indépendance de l'individu que Rousseau au despotisme de l'État. - Soit, mais il n'y a pas là de quoi faire un philosophe. Qu'est-ce encore que votre Stuart Mill? Un économiste qui va au delà de sa science, et qui subordonne la production à

l'homme, au lieu de subordonner l'homme à la production. Soit, mais il n'y a pas là non plus de quoi faire un philosophe. Y a-t-il encore autre chose dans votre Stuart Mill? Un logicien. - Bien; mais de quelle école? - De la sienne. Je vous ai dit qu'il est original. - Est-il hégélien? - Oh! pas du tout; il aime trop les faits et les preuves. Suit-il Port

[ocr errors]

-

Royal?- Encore moins; il sait trop bien les sciences modernes. -Imite-t-il Condillac? Non certes; Condillac n'enseigne qu'à bien écrire. Alors quels sont ses amis?-Locke et M. Comte au premier rang, ensuite Hume et Newton. - Est-ce un systématique, un réformateur spéculatif? - Il a trop d'esprit pour cela il ne fait ordonner les meilleures théories et expliquer les meilleures pratiques. Il ne se pose pas majestueusement en restaurateur de la science; il ne déclare pas, comme vos Allemands, que son livre va ouvrir une nouvelle ère au genre humain. Il marche pas à pas, un peu lentement, et souvent terre à terre, à travers une multitude d'exemples. Il excelle à préciser une idée, à démêler un principe, à le retrouver sous une foule de cas différents, à réfuter, à distinguer, à argumenter. Il a la finesse, la patience, la méthode et la sagacité d'un légiste. Très bien, voilà que vous me donnez raison d'avance: légiste, parent de Locke, de Newton, de Comte et de Hume, nous n'avons là que de la philosophie anglaise; mais il n'importe. A-t-il atteint une grande conception d'ensemble? Oui. — A-t-il une idée personnelle et complète de la nature et de l'esprit ? — Oui. — A-t-il

rassemblé les opérations et les découvertes de l'intelligence sous un principe unique qui leur donne à toutes un tour nouveau? Oui; seulement il faut démêler ce principe. C'est votre affaire, et j'espère bien que vous allez vous en charger. Mais je vais tomber dans les abstractions. Il n'y a pas de mal. Mais tout ce raisonnement serré sera comme une haie d'épines. Nous nous piquerons les doigts. - Mais les trois quarts des gens jetteraient là ces spéculations commes oiseuses. — Tant pis pour eux. Pourquoi vit une nation ou un siècle, sinon pour les former? On n'est complètement homme que par là. Si quelque habitant d'une autre planète descendait ici pour nous demander où en est notre espèce, il faudrait lui montrer les cinq ou six grandes idées que nous avons sur l'esprit et le monde. Cela seul lui donnerait la mesure de notre intelligence. Exposez-moi votre théorie; je m'en retournerai plus instruit qu'après avoir vu les tas de briques que vous appelez Londres et Manchester.

81.

L'EXPÉRIENCE.

I

-Alors, nous allons prendre les choses en logiciens, par le commencement. Stuart Mill a écrit une logique. Qu'est-ce que la logique? C'est une science. Quel est son objet? Ce sont les sciences: car supposez que vous ayez parcouru l'univers et que vous le connaissiez tout entier, astres, terre, soleil, chaleur, pesanteur, affinités, espèces minérales, révolutions géologiques, plantes, animaux, événements humains, et tout ce qu'expliquent ou embrassent les classifications et les théories; il vous restera encore à connaître ces classificatious et ces théories. Non seulement il y a l'ordre des êtres, mais il y a encore l'ordre des pensées qui les représentent; non seulement il y a des plantes et des animaux, mais encore il y a une botanique et une zoologie; non seulement il y a des lignes, des surfaces, des volumes et des nombres, mais encore il y a une géométrie et une arithmétique. Les sciences sont donc des choses réelles, comme les faits eux-mêmes elles peuvent donc être, comme les faits, un sujet d'étude. On peut les analyser, comme

LITT. ANGL,

V-22

« iepriekšējāTurpināt »