Lapas attēli
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phie. Le lendemain de l'enterrement d'un homme célèbre, ses amis et ses ennemis se mettent à l'œuvre; ses camarades de collège racontent dans les journaux ses espiègleries d'enfance; un autre se rappelle exactement et mot pour mot les conversations qu'il eut avec lui il y a vingt-cinq ans. L'homme d'affaires de la succession dresse la liste des brevets, nominations, dates et chiffres, et révèle aux lecteurs positifs l'espèce de ses placements et l'histoire de sa fortune; les arrière-neveux et les petits-cousins publient la description de ses actes de tendresse et le catalogue de ses vertus domestiques. S'il n'y a pas de génie littéraire dans la famille, on choisit un gradué d'Oxford, homme consciencieux, homme docte, qui traite le défunt comme un auteur grec, entasse une infinité de documents, les surcharge d'une infinité de commentaires, couronne le tout d'une infinité de dissertations, et vient dix ans après, un jour de Noël, avec une cravate blanche et un sourire serein, offrir à la famille assemblée trois in-quarto de huit cents pages, dont le style léger endormirait un Allemand de Berlin. On l'embrasse les larmes aux yeux; on le fait asseoir; il est le plus bel ornement de la fête, et l'on envoie son œuvre à la Revue d'Edimbourg. Celle-ci frémit à la vue de ce présent énorme, et détache un jeune rédacteur intrépide, qui compose avec la lable des matières une vie telle quelle. Autre avantage des biographies posthumes: le défunt n'est plus là pour démentir le biographe ni le docteur.

Malheureusement Dickens vit encore et dément les biographies qu'on fait de lui. Ce qui est pis, c'est qu'il prétend être son propre biographe. Son traducteur lui demandait un jour quelques documents: il répondit qu'il les gardait pour lui. Sans doute David Copperfield, son meilleur roman, a bien l'air d'une confidence; mais à quel point cesse la confidence, et dans quelle mesure la fiction orne-t-elle la vérité? Tout ce qu'on sait, ou plutôt tout ce qu'on répète, c'est que Dickens est né en 1812, qu'il est fils d'un sténographe, qu'il fut d'abord sténographe lui-même, qu'il a été pauvre et malheureux dans sa jeunesse, que ses romans, publiés par livraisons, lui ont acquis une grande fortune et une réputation immense. Le lecteur est libre de conjecturer le reste; Dickens le lui apprendra un jour, quand il écrira ses mémoires. Jusque-là il ferme sa porte, et laisse à sa porte les gens trop curieux qui s'obstinent à y frapper. C'est son droit. On a beau être illustre, on ne devient pas pour cela la propriété du public; on n'est pas condamné aux confidences; on continue à s'appartenir; on peut réserver de soi ce qu'on juge à propos d'en réserver. Si on livre ses œuvres aux lecteurs, on ne leur livre pas sa vie. Contentonsnous de ce que Dickens nous a donné. Quarante volumes suffisent, et au delà, pour bien connaître un homme; d'ailleurs, ils montrent de lui tout ce qu'il importe d'en savoir. Ce n'est point par les accidents de sa vie qu'il appartient à l'histoire, c'est par son talent, et son talent est dans ses livres. Le

génie d'un homme ressemble à une horloge : il a sa structure, et, parmi toutes ses pièces, un grand ressort. Démêlez ce ressort, montrez comment il communique le mouvement aux autres, suivez ce mouvement, de pièce en pièce, jusqu'à l'aiguille où il aboutit. Cette histoire intérieure du génie ne dépend point de l'histoire extérieure de l'homme, et la vaut bien.

2 1.

L'ÉCRIVAIN.

La première question qu'on doive faire sur un artiste est celle-ci : Comment voit-il les objets? Avec quelle netteté, avec quel élan, avec quelle force? La réponse définit d'avance toute son œuvre; car, à chaque ligne, il imagine; il garde jusqu'au bout l'allure qu'il avait d'abord. La réponse définit d'avance tout son talent; car, dans un romancier, l'imagination est la faculté maîtresse; l'art de composer, le bon goût, le sens du vrai en dépendent; un degré ajouté à sa véhémence bouleverse le style qui l'exprime, change les caractères qu'elle produit, brise les plans où elle s'enferme. Considérez celle de Dickens vous y apercevrez la cause de ses défauts et de ses mérites, de sa puissance et de ses excès.

I

Il y a en lui un peintre, et un peintre anglais. Jamais esprit, je crois, ne s'est figuré avec un détail plus exact et une plus grande énergie toutes les parlies et toutes les couleurs d'un tableau. Lisez cette

description d'un orage; les images semblent prises au daguerréotype, à la lumière éblouissante des éclairs : « L'œil, aussi rapide qu'eux, apercevait dans chacune de leurs flammes une multitude d'objets qu'en cinquante fois autant de temps il n'eût point vus au grand jour : des cloches dans leurs clochers avec la corde et la roue qui les faisaient mouvoir; des nids délabrés d'oiseaux dans les recoins et dans les corniches; des figures pleines d'effroi sous la bâche des voitures qui passaient, emportées par leur attelage effarouché, avec un fracas que couvrait le tonnerre; des herses et des charrues abandonnées dans les champs; des lieues et puis encore des lieues d'un pays coupé de haies, avec la bordure lointaine d'arbres aussi visible que l'épouvantail perché dans le champ de fèves à trois pas d'eux; une minute de clarté vive, ardente, tremblotante, qui montrait tout; puis une teinte rouge dans la lumière jaune, puis du bleu, puis un éclat si intense, qu'on ne voyait plus que de la lumière; puis la plus épaisse et la plus profonde obscurité1. »

Une imagination aussi lucide et aussi énergique doit animer sans effort les objets inanimés. Elle soulève, dans l'esprit où elle s'exerce, des émotions

saw

1. The eye, partaking of the quickness of the flashing light, in its every gleam a multitude of objects which it could not see at steady noon in fifty times that period. Bells in steeples, with the rope and wheel that moved them; ragged nests of birds in cornices and nooks; faces full of consternation in the tilted waggons that came tearing past, their frightened teams ringing out a warning which the thunder drowned; harrows and ploughs left out in fields

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