Lapas attēli
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sont donné rendez-vous au théâtre, et ont chassé à coups de pommes un acteur coupable d'avoir pour maîtresse la femme d'un bourgeois. Si du bout du doigt, avec toutes les salutations et tous les déguisements du monde, vous touchez un seul des feuillets sacrés ou la plus petite des convenances morales, à l'instant cinquante mains accrochées au collet de votre habit vous mettront à la porte. Devant des Anglais, il faut être Anglais; avec leur passion et leur bon sens, prenez leurs lisières. Ainsi enfermée dans les vérités reconnues, votre satire deviendra plus âpre, et ajoutera le poids de la croyance publique à la pression de la logique et à la force du ressentiment.

III

Nul écrivain ne fut mieux doué que Thackeray pour ce genre de satire ; c'est que nulle faculté n'est plus propre à ce genre de satire que la réflexion. La réflexion est l'attention concentrée, et l'attention concentrée centuple la force et la durée des émotions. Celui qui s'est enfoncé dans la contemplation du vice ressent de la haine pour le vice, et l'intensité de sa haine a pour mesure l'intensité de sa contemplation. Au premier instant, la colère est un vin généreux qui enivre et qui exalte; conservée et enfermée, elle devient une liqueur qui brûle tout ce qu'elle touche, et corrode jusqu'au vase qui la contient. De tous les satiriques, Thackeray, après Swift, est le plus triste.

Ses compatriotes eux-mêmes' lui ont reproché de peindre le monde plus laid qu'il n'est. L'indignation, la douleur, le mépris, le dégoût, sont ses sentiments ordinaires. Lorsqu'il s'en écarte et imagine des âmes tendres, il exagère leur sensibilité pour rendre leur oppression plus odieuse; l'égoïsme qui les brise paraît horrible, et leur douceur résignée est une mortelle injure contre leurs tyrans : c'est la même haine qui a calculé la bonté des victimes et la dureté des persécuteurs 2.

Cette colère exaspérée par la réflexion est encore armée par la réflexion. On voit qu'il n'est pas emporté par une indignation ou par une pitié passagère. Il s'est maîtrisé avant de parler. Il a pesé plusieurs fois la coquinerie qu'il va décrire. Il en possède les motifs, l'espèce, les suites, comme un naturaliste ses classifications. Il est sûr de son jugement, et l'a mûri. Il punit en homme convaincu, qui tient sur sa table une liasse de preuves, qui n'avance rien sans un document ou un raisonnement, qui a prévu toutes les objections et réfuté toutes les excuses, qui ne pardonnera jamais, qui a raison d'être inflexible, qui a conscience de sa justice, et qui appuie sa sentence et sa vengeance sur toutes les forces de la méditation et de l'équité. L'effet de cette haine justifiée et contenue est accablant. Lorsqu'on achève de lire les romans de Balzac, on éprouve le plaisir d'un na

1. Dans la Revue d'Édimbourg.

2. Rôle d'Amélia dans Vanity Fair. Rôle du colonel Newcome, dans les Newcomes.

turaliste promené dans un musée à travers une belle collection de spécimens et de monstres. Lorsqu'on achève de lire Thackeray, on éprouve le saisissement d'un étranger amené devant le matelas de l'amphithéâtre le jour où l'on pose les moxas et où l'on fait les amputations.

En pareil cas, l'arme la plus naturelle est l'ironie sérieuse, car elle témoigne d'une haine réfléchie : celui qui l'emploie supprime son premier mouvement; il feint de parler contre lui-même, et se maîtrise jusqu'à prendre le parti de son adversaire. D'autre part, cette attitude pénible et voulue est le signe d'un mépris excessif; la protection apparente qu'on prête à son ennemi est la pire des insultes. Il semble qu'on lui dise « J'ai honte de vous attaquer; vous êtes si faible, que même avec un appui vous tombez; vos raisons sont votre opprobre, et vos excuses sont votre condamnation. » Aussi plus l'ironie est grave, plus elle est forte; plus on met de soin à défendre son ennemi, plus on l'avilit; plus on paraît l'aider, plus on l'écrase. C'est pourquoi le sarcasme sérieux de Swift est terrible; on croit qu'il salue, et il tue; son approbation est une flagellation. Entre ses élèves, Thackeray est le premier. Plusieurs chapitres dans le Livre des Snobs, par exemple celui des snobs littéraires, sont dignes de Gulliver. L'auteur vient de passer en revue tous les snobs d'Angleterre : que va-t-il dire de ses frères, les snobs littéraires ?

1. Snob, mot d'argot intraduisible, désignant un homme « qui admire bassement des choses basses. >>

Osera-t-il en parler? Certainement. Mon cher et excellent lecteur, ne savez-vous pas que Brutus fit couper la tête à ses propres fils? En vérité, vous auriez bien mauvaise opinion de la littérature moderne et des modernes littérateurs, si vous doutiez qu'un seul d'entre nous hésitât à enfoncer un couteau dans

le corps de son confrère en cas de besoin public.

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Mais le fait est que dans la profession de littérateur il n'y a point de snobs. Regardez de tous côtés dans toute l'assemblée des écrivains anglais, et je vous défie d'y montrer un seul exemple de vulgarité, ou d'envie, ou de présomption. - Hommes et femmes, tous, autant que j'en connais, sont modestes dans leur maintien, élégants dans leurs manières, irréprochables dans leur vie, et honorables dans leur conduite. soit entre eux, soit à l'égard du monde. Il n'est pas impossible peut-être que (par hasard) vous entendiez un littérateur dire du mal de son frère; mais pourquoi? Par malice? Point du tout. Par envie? En aucune façon. Simplement par amour de la vérité et par devoir public. Supposez par exemple que, tout bonnement, j'indique un défaut dans la personne de mon ami M. Punch, et que je dise que M. P. est bossu, que son nez et son menton sont plus crochus que le nez et le menton d'Apollon et de l'Antinoüs; ceci prouve-t-il que je veuille du mal à M. Punch? Pas le moins du monde. C'est le devoir du critique de montrer les défauts aussi bien que les mérites, et invariablement il accomplit son devoir avec la plus entière sincérité et la plus parfaite douceur. — Le sentiment de l'égalité et de la fraternité entre les auteurs m'a toujours frappé comme une des plus aimables qualités distinctives de cette classe. C'est parce que nous nous apprécions et nous nous respectons les uns les autres que le monde nous respecte si fort, que nous tenons un si bon rang dans la société et que nous nous y comportons d'une manière si irréprochable. La littérature est si fort en honneur en Angleterre, qu'il y a une

somme d'environ douze cents guinées par an mise de côté pour pensionner les personnes de cette profession. C'est un grand honneur pour eux, et aussi une preuve que leur condition est généralement prospère et florissante. Ils sont ordinairement si riches et si économes, qu'il n'y a presque point besoin d'argent pour les aider'.

On est tenté de se méprendre, et pour entendre ce passage on a besoin de se rappeler que, dans une société aristocratique et marchande, sous le culte de l'argent et l'adoration du rang, le talent pauvre et roturier est traité comme le méritent sa roture et sa

1. My dear and excellent querist, whom does the school-master flog so resolutely as his own son? Didn't BRUTUS chop his offspring's head off? You have a very bad opinion indeed of the present state of literature and of literary men, if you fancy that any one of us would hesitate to stick a knife into his neighbour penman, if the latter's death could do the state any service.

But the fact is, that in the literary profession THERE ARE NO SNOBS. Look round at the whole body of British men of letters, and I defy you to point out among them a single instance of vulgarity, or envy, or assumption.

Men and women, as far as I have known them, they are all modest in their demeanour, elegant in their manners, spotless in their lives, and honourable in their conduct to the world and to each other. You may, occasionally, it is true, hear one literary man abusing his brother; but why? Not in the least out of malice; not at all from envy; merely from a sense of truth and public duty. Suppose, for instance, I good-naturedly point out a blemish in my friend Mr. Punch's person, and say Mr. P. has a hump-back, and his nose and chin are more crooked than those features in the APOLLO or ANTINOUS, which we are accustomed to consider as our standards of beauty; does this argue malice on my part towards Mr. Punch? Not in the least. It is the critic's duty to point out defects as well as merits, and he invariably does his duty with the utmost gentleness and candour. That sense of equality and fraternity amongst Authors has

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