Lapas attēli
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Pouvons-nous au moins affirmer que ces données irréductibles ne le sont qu'en apparence et au regard de notre esprit? Pouvons-nous dire qu'elles ont des causes comme les faits dérivés dont elles sont les causes? Pouvons-nous décider que tout événement à tout point du temps et de l'espace arrive selon des lois, et que notre petit monde si bien réglé est un abrégé du grand? Pouvons-nous, par quelque axiome, sortir de notre enceinte si étroite, et affirmer quelque chose de l'univers? En aucune façon, et c'est ici que Mill pousse aux dernières conséquences; car la loi qui attribue une cause à tout événement n'a pour lui d'autre fondement, d'autre valeur et d'autre portée que notre expérience. Elle ne renferme point sa nécessité en elle-même; elle tire toute son autorité du grand nombre des cas où on l'a reconnue vraie; elle ne fait que résumer une somme d'observations; elle lie deux données qui, considérées en elles-mêmes, n'ont point de liaison intime; elle joint l'antécédent et le conséquent pris en général, comme la loi de la pesanteur joint un antécédent et un conséquent pris en particulier; elle constate un couple, comme font toutes les lois expérimentales, et participe à leur incertitude comme à leurs restrictions. Écoutez ces fortes paroles : « Je suis convaincu que si un homme habitué à l'abstraction et à l'analyse exerçait loyalement ses facultés à cet effet, il ne trouverait point de difficulté, quand son imagination aurait pris le pli, à concevoir qu'en certains endroits, par exemple dans un des firmaments dont

LITT. ANGL.

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l'astronomie sidérale compose à présent l'univers, les événements puissent se succéder au hasard, sans aucune loi fixe; et rien, ni dans notre expérience, ni dans notre constitution mentale, ne nous fournit une raison suffisante, ni même une raison quelconque pour croire que cela n'a lieu nulle part 1. » Pratiquement, nous pouvons nous fier à une loi si bien établie; mais «< dans les parties lointaines des régions stellaires, où les phénomènes peuvent être entièrement différents de ceux que nous connaissons, ce serait folie d'affirmer hardiment le règne de cette loi générale, comme ce serait folie d'affirmer pour là-bas le règne des lois spéciales qui se maintiennent universellement exactes sur notre planète. » Nous sommes donc chassés irrévocablement de l'infini; nos facultés et nos assertions n'y peuvent rien atteindre; nous restons confinés dans un tout petit cercle; notre esprit ne porte pas au delà de son expérience; nous ne pouvons établir entre les faits au

1. I am convinced that any one accustomed to abstraction and analysis, who will fairly exert his faculties for the purpose, will, when his imagination has once learnt to entertain the notion, find no difficulty in conceiving that in some one for instance of the many firmaments into which sidereal astronomy now divides the universe, events may succeed one another at random, without any fixed law; nor can anything in our experience, or in our mental nature, constitute a sufficient, or indeed any reason for believing that this is nowhere the case. The grounds, therefore, which warrant us in rejecting such a supposition with respect to any of the phenomena of which we have experience, must be sought elsewhere than in any supposed necessity of our intellectual faculties.

2. In distant parts of the stellar regions, where the phenomena

cune liaison universelle et nécessaire; peut-être même n'existe-t-il entre les faits aucune liaison universelle et nécessaire. Mill s'arrête là; mais certainement, en menant son idée jusqu'au bout, on arriverait à considérer le monde comme un simple monceau de faits. Nulle nécessité intérieure ne produirait leur liaison ni leur existence. Ils seraient de pures données, c'est-à-dire des accidents. Quelquefois, comme dans notre système, ils se trouveraient assemblés de façon à amener des retours réguliers; quelquefois ils seraient assemblés de manière à n'en pas amener du tout. Le hasard, comme chez Démocrite, serait au cœur des choses. Les lois en dériveraient, et n'en dériveraient que çà et là. Il en serait des êtres comme des nombres, comme des fractions par exemple, qui, selon le hasard des deux facteurs primitifs, tantôt s'étalent, tantôt ne s'étalent pas en périodes régulières. Voilà sans doute une conception originale et haute. Elle est la dernière conséquence de l'idée primitive et dominante que nous avons démêlée au commencement du système, qui a trans

may be entirely unlike those with which we are acquainted, it would be folly to affirm confidently that this general law prevails, any more than those special ones which we have found to hold universally on our own planet. The uniformity in the succes sion of events, otherwise called the law of causation, must be received not as law of the universe, but of that portion of it only which is within the range of our means of sure observation, with a reasonable degree of extension to adjacent cases. To extend it further is to make a supposition without evidence, and to which, in the absence of any ground from experience for estimating its degree of probability, it would be idle to attempt to assign any.

formé les théories de la définition, de la proposition et du syllogisme; qui a réduit les axiomes à des vérités d'expérience; qui a développé et perfectionné la théorie de l'induction; qui a établi le but, les bornes, les provinces et les méthodes de la science; qui, dans la nature et dans la science, a partout supprimé les liaisons intérieures; qui a remplacé le nécessaire par l'accidentel, la cause par l'antécédent, et qui consiste à prétendre que toute assertion utile a pour effet de former un couple, c'est-à-dire de joindre deux faits qui, par leur nature, sont séparés. »

§ 2.

L'ABSTRACTION.

I

Un abîme de hasard et un abîme d'ignorance. La perspective est sombre: il n'importe, si elle est vraie. A tout le moins, cette théorie de la science est celle de la science anglaise. Rarement, je vous l'accorde, un penseur a mieux résumé par sa doctrine la pratique de son pays; rarement un homme a mieux représenté par ses négations et ses découvertes les limites et la portée de sa race. Les procédés dont celui-ci compose la science sont ceux où vous excellez par-dessus tous les autres, et les procédés qu'il exclut de la science sont ceux qui vous manquent plus qu'à personne. Il a décrit l'esprit anglais en croyant décrire l'esprit humain. C'est là sa gloire, mais c'est aussi là sa faiblesse. Il y a dans votre idée de la connaissance une lacune qui, incessamment ajoutée à elle-même, finit par creuser ce gouffre de hasard du fond duquel, selon lui, les choses naissent, et ce gouffre d'ignorance au bord duquel, selon lui, notre science doit s'arrêter. Et voyez ce qui en advient. En retranchant de la science la connaissance des premières causes, c'est-àdire des choses divines, vous réduisez l'homme à devenir sceptique, positif, utilitaire, s'il a l'esprit sec,

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