Lapas attēli
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la seconde est visible; la première est susceptible de vérité ou d'erreur, la seconde n'est susceptible ni de l'une ni de l'autre. La première est la source de tous les théorèmes qu'on peut faire sur les triangles, la seconde ne fait que résumer en un mot les faits contenus dans l'autre. La première est une vérité, la seconde une commodité; la première est une partie de la science, la seconde un expédient du langage. La première exprime une relation possible entre trois lignes droites, la seconde donne le nom de cette relation. La première seule est fructueuse, parce que seule, conformément à l'office de toute proposition fructueuse, elle lie deux faits. Comprenons donc exactement la nature de notre connaissance : elle s'applique ou aux mots, ou aux êtres, ou à tous les deux à la fois. S'il s'agit de mots, comme dans les définitions de noms, tout son effort est de ramener les mots aux expériences primitives, c'est-à-dire aux faits qui leur servent d'éléments. S'il s'agit d'êtres, comme dans les propositions de choses, tout son effort est de joindre un fait à un fait, pour rapprocher la somme finie des propriétés connues de la somme infinie des propriétés à connaître. S'il s'agit des deux, comme dans les définitions de nom qui cachent une proposition de chose, tout son effort est de faire l'un et l'autre. Partout l'opération est la même. Il ne s'agit partout que de s'entendre, c'està-dire de revenir aux faits, ou d'apprendre, c'est-àdire de joindre des faits.

V

Voilà un premier rempart détruit; les adversaires se réfugient derrière le second, la théorie de la preuve. En effet celle-ci, depuis deux mille ans, passe pour une vérité acquise, définitive, inattaquable. Plusieurs l'ont jugée inutile, mais personne n'a osé la dire fausse. Chacun l'a considérée comme un théorème établi. Regardons-la de près et avec toute notre attention. Qu'est-ce qu'une preuve? Selon les logiciens, c'est un syllogisme. Et qu'est-ce qu'un syllogisme? C'est un groupe de trois propositions comme celui-ci : << Tous les hommes sont mortels; le prince Albert est un homme; donc le prince Albert est mortel. >> Voilà le modèle de la preuve, et toute preuve complète se ramène à celle-là. Or, selon les logiciens, qu'y a-t-il dans cette preuve? Une proposition générale concernant tous les hommes qui aboutit à une proposition particulière concernant un certain homme. De la première on passe à la seconde, parce que la seconde est contenue dans la première. Du général on passe au particulier, parce que le particulier est contenu dans le général. La seconde n'est qu'un cas de la première; sa vérité est enfermée par avance dans celle de la première, et c'est pour cela qu'elle est une vérité. En effet, sitôt que la conclusion n'est plus contenue dans les prémisses, le raisonnement est faux, et toutes les rè

gles compliquées du moyen âge ont été réduites par Port-Royal à cette seule règle, que la conclusion doit être contenue dans les prémisses. Ainsi toute la marche de l'esprit humain, quand il raisonne, consiste à reconnaître dans les individus ce qu'il a connu de la classe, à affirmer en détail ce qu'il a établi pour l'ensemble, à poser une seconde fois et pièce à pièce ce qu'il a posé tout d'un coup une première fois.

Point du tout, répond Mill, car si cela est, le raisonnement ne sert à rien. Il n'est point un progrès, mais une répétition. Quand j'ai affirmé que tous les hommes sont mortels, j'ai affirmé par cela même que le prince Albert est mortel. En parlant de la classe entière, c'est-à-dire de tous les individus, j'ai parlé de chaque individu, et notamment du prince Albert, qui est l'un d'eux. Je ne dis done rien de nouveau maintenant que j'en parle. Ma conclusion ne m'apprend rien; elle n'ajoute rien à ma connaissance positive; elle ne fait que mettre sous une autre forme une connaissance que j'avais déjà. Elle n'est point fructueuse, elle est purement verbale. Donc, si le raisonnement est ce que disent les logiciens, le raisonnement n'est point instructif. J'en sais autant en le commençant qu'après l'avoir fini. J'ai transformé des mots en d'autres mots; j'ai piétiné sur place. Or cela ne peut être, puisqu'en fait le raisonnement nous apprend des vérités neuves. J'apprends une vérité neuve quand je découvre que le prince Albert est mortel, et je la dé

couvre par la vertu du raisonnement, puisque le prince Albert étant encore en vie, je n'ai pu l'apprendre par l'observation directe. Ainsi les logiciens se trompent, et par delà la théorie toute scolastique du syllogisme qui réduit le raisonnement à des substitutions de mots, il faut chercher une théorie de la preuve, toute positive, qui démêle dans le raisonnement des découvertes de faits.

Pour cela, il suffit de remarquer que la proposition générale n'est point la véritable preuve de la proposition particulière. Elle le paraît, elle ne l'est pas. Ce n'est pas de la mortalité de tous les hommes que je conclus la mortalité du prince Albert; les prémisses sont ailleurs, et par derrière. La proposition générale n'est qu'un mémento, une sorte de registre abréviatif, où j'ai consigné le fruit de mes expériences. Vous pouvez considérer ce mémento comme un livre de notes où vous vous reportez quand vous voulez rafraîchir votre mémoire; mais ce n'est point du livre que vous tirez votre science: vous la tirez des objets que vous avez vus. Mon mémento n'a de valeur que par les expériences qu'il rappelle. Ma proposition générale n'a de valeur que par les faits particuliers qu'elle résume. « La mortalité de Jean, Thomas et compagnie' est après tout

1. The mortality of John, Thomas and company is, after all, the whole evidence we have for the mortality of the duke of Wellington. Not one iota is added to the proof by interpolating a general proposition. Since the individual cases are all the evidence we can possess, evidence which no logical form into which we choose to throw it can make greater than it is; and

la seule preuve que nous ayons de la mortalité du prince Albert. » — « La vraie raison qui nous fait croire que le prince Albert mourra, c'est que ses ancêtres, et nos ancêtres, et toutes les autres personnes qui leur étaient contemporaines, sont morts. Ces faits sont les vraies prémisses du raisonnement. » C'est d'eux que nous avons tiré la proposition générale; ce sont eux qui lui communiquent sa portée et la vérité; elle se borne à les mentionner sous une forme plus courte; elle reçoit d'eux toute sa substance; ils agissent par elle et à travers elle pour amener la conclusion qu'elle semble engendrer. Elle n'est que leur représentant, et à l'occasion ils se passent d'elle. Les enfants, les ignorants, les animaux savent que le soleil se lèvera, que l'eau les noiera, que le feu les brûlera, sans employer l'intermédiaire de cette proposition. Ils raisonnent et nous raisonnons aussi, non du général au particulier, mais du particulier au particulier. L'esprit ne va jamais que des cas observés aux cas non observés, avec ou sans formules commémoratives. Nous ne nous en servons que pour la commodité1. >> << Si nous avions une mémoire assez ample et la faculté de maintenir l'ordre dans une

since that evidence is either sufficient in itself, or, if insufficient for the one purpose, cannot be sufficient for the other; I am unable to see why we should be forbidden to take the shortest cut from these sufficient premisses to the conclusion, and constrained to travel the" high priori road ", by the arbitrary fiat of logicians.

1. All inference is from particulars to particulars : General

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