Lapas attēli
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santes; bien plus, il en fait des drames; il les change en objets d'admiration, de tendresse et d'épouvante. Sans sortir du coin du feu ou de l'omnibus, nous voilà tremblants, les yeux pleins de larmes ou secoués par les accès d'un rire inextinguible. Nous nous trouvons transformés, notre vie est doublée; notre âme végétait; elle sent, elle souffre, elle aime. Le contraste, la succession rapide, le nombre des sentiments ajoute encore à son trouble; nous roulons pendant deux cents pages dans un torrent d'émotions nouvelles, contraires et croissantes, qui communique à l'esprit sa violence, qui l'entraîne dans des écarts et des chutes, et ne le rejette sur la rive qu'enchanté et épuisé. C'est une ivresse, et sur une âme délicate l'effet serait trop fort; mais il convient au public, et le public l'a justifié.

Cette sensibilité ne peut guère avoir que deux issues, le rire et les larmes. Il y en a d'autres; mais on n'y arrive que par la haute éloquence; elles sont le chemin du sublime, et l'on a vu que pour Dickens il est fermé. Cependant il n'y a pas d'écrivain qui sache mieux toucher et attendrir; il fait pleurer, cela est à la lettre ; avant de l'avoir lu, on ne se savait pas tant de pitié dans le cœur. Le chagrin d'une enfant qui voudrait être aimée de son père et que son père n'aime point, l'amour désespéré et la mort lente d'un pauvre jeune homme à demi imbécile, toutes ces peintures de douleurs secrètes laissent une impression ineffaçable. Les larmes qu'il verse sont vraies, et la compassion est leur source unique. Balzac,

George Sand, Stendahl ont aussi raconté les misères humaines; est-il possible d'écrire sans les raconter? Mais ils ne les cherchent pas, ils les rencontrent; ils ne songent point à nous les étaler; ils allaient ailleurs, ils les ont trouvées sur leur route. Ils aiment l'art plutôt que les hommes. Ils ne se plaisent qu'à voir jouer les ressorts des passions, à combiner de grands systèmes d'événements, à construire de puissants caractères; ils n'écrivent point par sympathie pour les misérables, mais par amour du beau. Quand vous finissez Mauprat, votre émotion n'est pas la sympathie pure; vous ressentez encore une admiration profonde pour la grandeur et la générosité de l'amour. Quand vous achevez le Père Goriot, vous avez le cœur brisé par les tortures de cette agonie; mais l'étonnante invention, l'accumulation des faits, l'abondance des idées générales, la force de l'analyse, vous transportent dans le monde de la science, et votre sympathie douloureuse se calme au spectacle de cette physiologie du cœur. Dickens ne calme jamais la nôtre; il choisit les sujets où elle se déploie seule et plus qu'ailleurs, la longue oppression des enfants tyrannisés et affamés par leur maître d'école, la vie de l'ouvrier Stéphen, volé et déshonoré par sa femme, chassé par ses camarades, accusé de vol, languissant six jours au fond d'un puits où il est tombé, blessé, dévoré par la fièvre, et mourant quand enfin on arrive à lui. Rachel, sa seule amie, est là, et son égarement, ses cris, le tourbillon de désespoir dans lequel Dickens enveloppe ses personnages ont pré

paré la douloureuse peinture de cette mort résignée. Le seau remonte un corps qui n'a presque plus de forme, et l'on voit la figure pâle, épuisée, patiente, tournée vers le ciel, tandis que la main droite, brisée et pendante, semble demander qu'une autre main vienne la soutenir. Il sourit pourtant et dit faiblement «< Rachel! » Elle vient et se penche jusqu'à ce que ses yeux soient entre ceux du blessé et le ciel, car il n'a pas la force de tourner les siens pour la regarder. Alors, en paroles brisées, il lui raconte sa longue agonie. Depuis qu'il est né, il n'a éprouvé que misère et injustice: c'est la règle; les faibles souffrent et sont faits pour souffrir. Ce puits où il est tombé a tué des centaines d'hommes, des pères, des maris, des fils qui faisaient vivre des centaines de familles. Les mineurs ont prié et supplié les hommes du parlement, par l'amour du Christ, de ne point permettre que leur travail fût leur mort, et de les épargner à cause de leurs femmes et de leurs enfants, qu'ils aiment autant que les gentlemen aiment les leurs tout cela pour rien. Quand le puits travaillait, il tuait sans besoin; abandonné, il tue encore. Stephen dit cela sans colère, doucement, simplement, comme la vérité. Il a devant lui son calomniateur; il ne s'indigne pas, il n'accuse personne; il charge seulement le père de démentir la calomnie tout à l'heure, quand il sera mort. Son cœur est làhaut, dans le ciel où il a vu briller une étoile. Dans son tourment, sur son lit de pierres, il l'a contemplée, et le tendre et touchant regard de la divine

LITT. ANGL.

IV

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étoile a calmé, par sa sérénité mystique, l'angoisse de son esprit et de son corps. « J'ai vu plus clair, dit-il, et ma prière de mourant a été que les hommes puissent seulement se rapprocher un peu plus les uns des autres, que lorsque moi, pauvre homme, j'étais avec eux. Ils le soulevèrent, et il fut ravi de voir qu'ils allaient l'emporter du côté où l'étoile semblait les conduire. Ils le portèrent très-doucement, à travers les champs et le long des sentiers, dans la large campagne, Rachel tenant toujours sa main dans les siennes. Ce fut bientôt une procession funéraire. L'étoile lui avait montré le chemin qui mène au Dieu des pauvres, et son humilité, ses misères, son oubli des injures, l'avaient conduit au repos de son rédempteur 1.

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Ce même écrivain est le plus railleur, le plus comique et le plus bouffon de tous les écrivains anglais. Singulière gaieté du reste! C'est la seule qui puisse s'accorder avec cette sensibilité passionnée. Il y a un rire qui est voisin des larmes. La satire est sœur de l'élégie si l'une plaide pour les opprimés, l'autre

1. "It ha' shined upon me," he said reverently, "in my pain and trouble down below. It ha' shined into my mind. I ha' lookn at 't an thowt o' thee, Rachael, till the muddle in my mind have cleared awa, above a bit, I hope. If soom ha' been wantin'in unnerstan'in me better, I, too, ha' been wantin'in unnerstan'in them better.

In my pain an trouble, lookin up yonder, wi' it shinin' on me. - I ha' seen more clear, and ha' made it my dyin prayer that aw th' world may on'y coom toogether more, an get a better unnerstan'in o'one another, than when I were in't my own weak seln.

"Often as I coom to myseln, and found it shinin on me down

combat contre les oppresseurs. Blessé par les travers et par les vices, Dickens se venge par le ridicule. Il ne les peint pas, il les punit. Rien de plus accablant que ces longs chapitres d'ironie soutenue où le sarcasme s'enfonce à chaque ligne plus sanglant et plus perçant dans l'adversaire qu'il s'est choisi. Il y en a cinq ou six contre les Américains, contre leurs journaux vendus, contre leurs journalistes ivrognes, contre leurs spéculateurs charlatans, contre leurs femmes auteurs, contre leur grossièreté, leur familiarité, leur insolence, leur brutalité, capable de ravir un absolutiste, et de justifier ce libéral qui, revenant de New-York, embrassa les larmes aux yeux le premier gendarme qu'il aperçut sur le port du Havre. Fondations de sociétés industrielles, entretiens d'un député avec ses commettants, instructions d'un député à son secrétaire, parade des grandes maisons de banque, inauguration d'un édifice, toutes les cérémonies et tous les mensonges de la société anglaise sont gravés avec la verve et l'amertume de Hogarth.

y a des morceaux où le comique est si violent, qu'ila l'air d'une vengeance, par exemple le récit de Jonas Chuzzlewit. Le premier mot qu'épela cet excel

there in my trouble, I thowt it were the star as guided to Our Saviour's home. I awmust think it be the very star!

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They carried him very gently along the fields, and down the lanes, and over the wide landscape; Rachael always holding the hand in hers. Very few whispers broke the mournful silence. It was soon a funeral procession. The star had shown him where to find the God of the poor; and through humility, and sorrow, and forgiveness, he had gone to his Redeemer's rest. (Hard Times, p. 345.)

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