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époque elle-même vient d'atteindre la perfection <«<et se trouve accomplie, qu'avant longtemps on «< aura besoin d'une nouvelle époque et de nouveaux « réformateurs. Car chaque âge a son théorème ou

représentation spirituelle de l'univers. >> Ses grandes œuvres poétiques ou pratiques ne font que publier ou appliquer cette idée maîtresse; l'historien se sert d'elle pour retrouver le sentiment primitif qui les engendre et pour former la conception d'ensemble qui les unit.

III

De là une façon nouvelle d'écrire l'histoire. Puisque le sentiment héroïque est la cause du reste, c'est à lui que l'historien doit s'attacher. Puisqu'il est la source de la civilisation, le moteur des révolutions, le maître et le régénérateur de la vie humaine, c'est en lui qu'il faut observer la civilisation, les révolutions et la vie humaine. Puisqu'il est le ressort de tout mouvement, c'est par lui que l'on comprendra tout mouvement. Libre aux métaphysiciens d'aligner des déductions et des formules, ou aux politiques d'exposer des situations et des constitutions. L'homme n'est point un être inerte façonné par une constitution ni un être mort exprimé par une formule; il est une âme active et vivante, capable d'agir, de découvrir, de créer, de se dévouer et avant tout d'ola véritable histoire est l'épopée de l'héroïsme.

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LITT. ANGL.

IV - 21

Cette idée est, à mon avis, une vive lumière. Car les hommes n'ont pas fait de grandes choses sans de grandes émotions. Le premier et souverain moteur d'une révolution extraordinaire est un sentiment extraordinaire. A ce moment, on a vu paraître et s'enfler une passion exaltée et toute-puissante qui a rompu les digues anciennes et lancé le courant des choses dans un nouveau lit. Tout part de là, et c'est elle qu'il faut voir. Laissez de côté les formules métaphysiques et les considérations politiques, et regardez l'état intérieur de chaque esprit; quittez le récit nu, oubliez les explications abstraites, et observez les âmes passionnées. Une révolution n'est que la naissance d'un grand sentiment. Quel est ce sentiment, comment il se lie aux autres, quel est son degré, sa source, son effet, comment il transforme l'imagination, l'entendement, les inclinations ordinaires, quelles passions l'alimentent, quelle proportion de folie et de raison il renferme, ce sont là les questions capitales. Pour me faire l'histoire du bouddhisme, il faut me montrer le désespoir calme des ascètes qui, amortis par la pensée du vide infini et par l'attente de l'anéantissement final, atteignaient, dans leur quiétude monotone, le sentiment de la fraternité universelle. Pour me faire l'histoire du christianisme, il faut me montrer l'âme d'un saint Jean ou d'un saint Paul, le renouvellement subit de la conscience, la foi aux choses invisibles, la transformation de l'âme pénétrée par la présence d'un Dieu paternel, l'irruption de tendresse, de générosité,

à

d'abnégation, de confiance et d'espérance qui vint dégager les malheureux ensevelis sous la tyrannie et la décadence romaine. Expliquer une révolution, c'est faire un morceau de psychologie; l'analyse des critiques et la divination des artistes sont les seuls instruments qui puissent l'atteindre; si nous voulions l'avoir précise et profonde, il faudrait la demander à ceux qui, par métier ou par génie, sont con naisseurs de l'âme, à Shakspeare, à Saint-Simon Balzac, à Stendhal. Voilà pourquoi on peut la demander quelquefois à Carlyle. Et il y a telle histoire qu'on peut lui demander mieux qu'à tout autre, celle de la Révolution qui eut pour source la conscience, qui mit Dieu dans les conseils d'État, qui imposa le devoir strict, qui provoqua l'héroïsme austère. Le meilleur historien du puritanisme est un puritain.

IV

Cette histoire de Cromwell, son chef-d'œuvre, n'est qu'une réunion de lettres et de discours commentés et joints par un récit continu. L'impression qu'elle laisse est extraordinaire. Les graves histoires constitutionnelles languissent auprès de cette compilation. Il a voulu faire comprendre une âme, l'âme de Cromwell, le plus grand des puritains, leur chef, leur abrégé, leur héros et leur modèle. Son récit ressemble à celui d'un témoin oculaire. Un covenantaire qui aurait réuni des lettres, des morceaux

de journal, et qui jour par jour y aurait ajouté des réflexions, des interprétations, des notes et des anecdotes, n'aurait point écrit un autre livre. Enfin nous voilà face à face avec Cromwell. Nous avons ses paroles, nous pouvons entendre son accent; nous saisissons autour de chaque action les circonstances qui l'ont fait naître; nous le voyons sous sa tente, au conseil, avec le paysage, avec sa physionomie, avec son costume; tout le détail y est, jusqu'aux minuties. Et la sincérité est aussi grande que la sympathie; le biographe avoue ses ignorances, le manque de documents, l'incertitude; il est parfaitement loyal, quoique poëte et sectaire. Avec lui nous restreignons et nous poussons tout à la fois nos conjectures, et nous sentons à chaque pas, à travers nos affirmations et nos réserves, que nous posons solidement le pied sur la vérité. Je voudrais que toute histoire fût, comme celle-ci, un choix de textes munis d'un commentaire; je donnerais pour une histoire pareille tous les raisonnements réguliers, toutes les belles narrations décolorées de Robertson et de Hume. Je puis vérifier, en lisant celle-ci, le jugement de l'auteur; je ne pense plus d'après lui, mais par moi-même : l'historien ne se place pas entre moi et les choses; je vois un fait, et non le récit d'un fait; l'enveloppe oratoire et personnelle dont le récit recouvre la vérité a disparu; je puis toucher la vérité elle-même. Et ce Cromwell, avec ses puritains, sort de cette épreuve réformé et renouvelé. Nous devinions bien déjà qu'il n'était point un simple ambi

tieux, un hypocrite, mais nous le prenions pour un fanatique disputeur et odieux. Nous considérions ces puritains comme des fous tristes, cerveaux étroits et à scrupules. Sortons de nos idées françaises et modernes, et entrons dans ces âmes; nous y trouverons autre chose qu'une maladie noire. Il y a là un grand sentiment. Suis-je un homme juste? Et si Dieu, qui est la parfaite justice, me jugeait en ce moment, quelle sentence porterait-il sur moi? Voilà l'idée originelle qui a fait les puritains, et par eux la révolution d'Angleterre. « Le sentiment de la «< différence qu'il y a entre le bien et le mal avait rempli pour eux tout le temps et tout l'espace, et « s'était incarné et exprimé pour eux par un ciel et « un enfer. » Ils ont été frappés de l'idée du devoir; ils se sont examinés à cette lumière, sans pitié et sans relâche; ils ont conçu le modèle sublime de la vertu infaillible et accomplie; ils s'en sont imbus; ils ont englouti dans cette pensée absorbante toutes les préoccupations mondaines et toutes les inclinations sensibles; ils ont pris en horreur jusqu'aux fautes imperceptibles qu'un honnête homme se pardonne; ils ont exigé d'eux-mêmes la perfection absolue et continue, et ils se sont lancés dans la vie avec la fixe résolution de tout souffrir et de tout faire plutôt que d'en dévier d'un pas. Vous vous moquez d'une révolution faite à propos de surplis et de chasubles : il y avait le sentiment du divin sous ces disputes d'habits. Ces pauvres gens, boutiquiers et fermiers, croyaient de tout leur cœur à un Dieu sublime et

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