Lapas attēli
PDF
ePub

Johnson, parce que Johnson fut loyal et sincère ; il ne distingue pas en lui l'homme littéraire de l'homme pratique; il cesse de voir le déclamateur classique, étrange composé de Scaliger, de Boileau, et de la Harpe, enharnaché majestueusement dans la défroque cicéronienne, pour ne regarder que l'homme religieux et convaincu. Une pareille habitude bouche les yeux sur la moitié des choses. Carlyle parle avec une indifférence méprisante1 du dilettantisme moderne, semble mépriser les peintres, n'admet pas la beauté sensible. Tout entier aux écrivains, il néglige les artistes; en effet, la source des arts est le sentiment de la forme, et les plus grands artistes, les Italiens, les Grecs, n'ont connu, comme leurs prêtres et leurs poëtes, que la beauté de la volupté et de la force. De là vient encore qu'il n'a point de goût pour la littérature française. Cet ordre exact, ces belles proportions, ce perpétuel souci de l'agréable et du convenable, cette architecture harmonieuse d'idées claires et suivies, cette peinture délicate de la société, cette perfection du style, rien de ce qui nous touche n'a de prise sur lui. Sa façon d'entendre la vie est trop éloignée de la nôtre. Il a beau essayer de comprendre Voltaire, il n'arrive qu'à le diffamer3. « Il n'y a pas une << seule grande pensée dans ses trente-six in-quar<< tos.... Son regard s'arrête à la superficie de la na<«<ture; le grand Tout, avec sa beauté et sa mysté

1. Life of Sterling. 2. Miscellanies, p. 11, 121, 148.

[ocr errors]

«rieuse grandeur infinie, ne lui a jamais été révélé, <«< même un seul instant; il a regardé et noté seule«ment tel atome, et puis tel autre, leurs différences « et leurs oppositions!.... Sa théorie du monde, sa peinture de l'homme et de la vie de l'homme est « mesquine, pitoyable même pour un poëte et un philosophe. Il lit l'histoire, non pas avec les yeux << d'un voyant pieux ou même d'un critique, mais « avec une simple paire de lunettes anticatholiques. << Elle n'est point pour lui un drame grandiose,

[ocr errors]

1. We find no heroism of character in him, from first to last; nay, there is not, that we know of, one great thought in all his six and thirty quarto.... He sees but a little way into Nature; the mighty All in it beauty and infinite mysterious grandeur, humbling the small me in to nothingness, has never even for moments been revealed to him; only this aud that other atom of it, and the differences and discrepancies of these two, has he looked into and noted down. His theory of the world, his picture of man and man's life is little; for a poet and philosopher even pitiful. "The Divine Idea that which lies at the bottom of appearance" was never more invisible to any man. He reads history not with the eyes of a devout seer or even of a critic, but through a pair of mere anticatholic spectacles. It is not a mighty drama enacted on the theater of Infinitude, with suns for lamps and Eternity as back-ground.... but a poor wearisome debating-club dispute, spun through ten centuries, between the Encyclopédie and the Sorbonne.... God's Universe is a larger patrimony of Saint Peter, from where it were pleasant and well to hunt the Pope.... The still higher praise of having had a right or noble aim cannot be conceded to him without many limitations, and may plausibly enough, be altogether denied.... The force necessary for him was no wise a great and noble one; but a small, in some respects a mean one, to be nimbly and seasonably put into use. The Ephesian temple which it had employed many wise heads and strong arms, for a life-time, to build, could be un-built by one madman, in a single hour.

[ocr errors]
[ocr errors]

« joué sur le théâtre de l'infini, avec les soleils « pour lampes et l'éternité pour fond.... mais un << pauvre club de disputes fatigantes tissées à tra<< vers dix siècles entre l'Encyclopédie et la Sor«bonne. L'univers de Dieu est un patrimoine de « saint Pierre un peu plus grand que l'autre, duquel il est agréable et bon de chasser le pape.... << La haute louange d'avoir poursuivi un but juste «< ou noble ne peut lui être accordée sans beaucoup « de réserves, et peut même, avec assez d'appa« rence, lui être refusée. La force qui lui était né«< cessaire n'était ni noble ni grande, mais petite et « à quelques égards de basse espèce. Seulement il « en fait usage avec dextérité et à propos. Pour « bâtir le temple d'Éphèse, il avait fallu le travail << de bien des têtes sages et de bien des bras ro<< bustes, pendant des vies entières; et ce même << temple a pu être détruit par un fou en une « heure. » Voilà d'assez gros mots; nous n'en emploierons pas de pareils. Je dirai seulement que si quelqu'un jugeait Carlyle en Français, comme il juge Voltaire en Anglais, ce quelqu'un ferait de Carlyle un portrait différent de celui que j'essaye de tracer ici.

VI

Ce commerce de dénigrements était en vigueur il y a cinquante ans; dans cinquante ans, il est probable qu'il aura cessé tout à fait. Nous commençons

à comprendre le sérieux des puritains; peut-être les Anglais finiront-ils par comprendre la gaieté de Voltaire; nous travaillons à goûter Shakspeare, ils essayeront sans doute de goûter Racine. Goethe, le maître de tous les esprits modernes, a bien su goûter tous les deux1. Il faut que le critique à son âme naturelle et nationale ajoute cinq ou six âmes artificielles et acquises, et que sa sympathie flexible l'introduise en des sentiments éteints ou étrangers. Le meilleur fruit de la critique est de nous déprendre de nous-mêmes, de nous contraindre à faire la part du milieu où nous vivons plongés, de nous enseigner à démêler les objets eux-mêmes à travers les apparences passagères dont notre caractère et notre siècle ne manquent jamais de les revêtir. Chacun les regarde avec des lunettes de portée et de couleur diverses, et nul ne peut atteindre la vérité qu'en tenant compte de la forme et de la teinte que la structure de ses verres impose aux objets qu'il aperçoit. Jusqu'ici nous nous sommes disputés et battus, l'un disant que les choses sont vertes, d'autres qu'elles sont jaunes, d'autres enfin qu'elles sont rouges, chacun accusant son voisin de mal voir et d'être de mauvaise foi. Voici enfin que nous apprenons l'optique morale; nous découvrons que la couleur n'est point dans les objets, mais en nous-mêmes; nous pardonnons à nos voisins de voir autrement que nous; nous reconnaissons qu'ils

1. Voyez ce double éloge dans Wilhelm Meister.

doivent voir rouge ce qui nous paraît bleu, vert ce qui nous paraît jaune; nous pouvons même définir l'espèce de lunettes qui produit le jaune et l'espèce de lunettes qui produit le vert, deviner leurs effets d'après leur nature, prédire aux gens la teinte sous laquelle leur apparaîtra l'objet qu'on va leur présenter, construire d'avance le système de tout esprit, et peut-être un jour nous dégager de tout système. « Comme poëte, disait Goethe, je suis polythéiste; comme naturaliste, panthéiste; comme être moral, déiste; et j'ai besoin, pour exprimer mon sentiment, de toutes ces formes. » En effet, toutes ces lunettes sont bonnes, car elles nous montrent toutes quelque aspect nouveau des choses. Le point important, c'est d'en avoir non pas une, mais plusieurs, d'employer chacune d'elles au moment convenable, de faire abstraction de la couleur qui lui est particulière, de savoir que derrière ces milliers de teintes mouvantes et poétiques l'optique ne constate que des changements régis par une loi.

« iepriekšējāTurpināt »