Lapas attēli
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biographies qu'on fait de lui. Ce qui est pis, c'est qu'il prétend être son propre biographe. Son traducteur lui demandait un jour quelques documents : il répondit qu'il les gardait pour lui. Sans doute David Copperfield, son meilleur roman, a bien l'air d'une confidence; mais à quel point cesse la confidence, et dans quelle mesure la fiction orne-t-elle la vérité? Tout ce qu'on sait, ou plutôt tout ce qu'on répète, c'est que Dickens est né en 1812, qu'il est fils d'un sténographe, qu'il fut d'abord sténographe lui-même, qu'il a été pauvre et malheureux dans sa jeunesse, que ses romans publiés par livraisons lui ont acquis une grande fortune et une réputation immense. Le lecteur est libre de conjecturer le reste; Dickens le lui apprendra un jour, quand il écrira ses mémoires. Jusque-là il ferme sa porte, et laisse à sa porte les gens trop curieux qui s'obstinent à y frapper. C'est son droit. On a beau être illustre, on ne devient pas pour cela la propriété du public; on n'est pas condamné aux confidences; on continue à s'appartenir; on peut réserver de soi ce qu'on juge à propos d'en réserver. Si on livre ses œuvres aux lecteurs, on ne leur livre pas sa vie. Contentonsnous de ce que Dickens nous a donné. Quarante volumes suffisent, et au delà, pour bien connaître un homme; d'ailleurs ils montrent de lui tout ce qu'il importe d'en savoir. Ce n'est point par les accidents de sa vie qu'il appartient à l'histoire; c'est par son talent, et son talent est dans ses livres. Le génie d'un homme ressemble à une horloge: il a sa structure, et

parmi toutes ses pièces un grand ressort. Démêlez ce ressort, montrez comment il communique le mouvement aux autres, suivez ce mouvement de pièce en pièce jusqu'à l'aiguille où il aboutit. Cette histoire intérieure du génie ne dépend point de l'histoire extérieure de l'homme, et la vaut bien.

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L'ÉCRIVAIN.

La première question qu'on doive faire sur un artiste est celle-ci : Comment voit-il les objets? avec quelle netteté, avec quel élan, avec quelle force? La réponse définit d'avance toute son œuvre; car à chaque ligne il imagine; il garde jusqu'au bout l'allure qu'il avait d'abord. La réponse définit d'avance tout son talent; car dans un romancier l'imagination est la faculté maîtresse; l'art de composer, le bon goût, le sens du vrai en dépendent; un degré ajouté à sa véhémence bouleverse le style qui l'exprime, change les caractères qu'elle produit, brise les plans où elle s'enferme. Considérez celle de Dickens, vous y apercevrez la cause de ses défauts et de ses mérites, de sa puissance et de ses excès.

I

Il y a en lui un peintre, et un peintre anglais. Jamais esprit, je crois, ne s'est figuré avec un détail plus exact et une plus grande énergie toutes les parties et toutes les couleurs d'un tableau. Lisez cette description d'un orage; les images semblent prises au daguerréotype, à la lumière éblouissante des

éclairs « L'œil, aussi rapide qu'eux, apercevait dans chacune de leurs flammes une multitude d'objets qu'en cinquante fois autant de temps il n'eût point vus au grand jour : des cloches dans leurs clochers avec la corde et la roue qui les faisaient mouvoir; des nids délabrés d'oiseaux dans les recoins et dans les corniches; des figures pleines d'effroi sous la bâche des voitures qui passaient, emportées par leur attelage effarouché, avec un fracas que couvrait le tonnerre; des herses et des charrues abandonnées dans les champs; des lieues et puis encore des lieues de pays coupé de haies, avec la bordure lointaine d'arbres aussi visible que l'épouvantail perché dans le champ de fèves à trois pas d'eux; une minute de clarté limpide, ardente, tremblotante, qui montrait tout; puis une teinte rouge dans la lumière jaune, puis du bleu, puis un éclat si intense, qu'on ne voyait plus que de la lumière; puis la plus épaisse et la plus profonde obscurité1. »

Une imagination aussi lucide et aussi énergique doit animer sans effort les objets inanimés. Elle soulève dans l'esprit où elle s'exerce des émotions extraordinaires, et l'auteur verse sur les objets qu'il se figure quelque chose de la passion surabondante

1. The eye, partaking of the quickness of the flashing light, saw in its every gleam a multitude of objects which it could not see at steady noon in fifty times that period. Bells in steeples, with the rope and wheel that moved them; ragged nests of birds in cornices and nooks; faces full of consternation in the tilted waggons that came tearing past, their frightened teams ringing out a warning which the thunder drowned; harrows and ploughs

dont il est comblé. Les pierres pour lui prennent une voix, les murs blancs s'allongent comme de grands fantômes, les puits noirs bâillent hideusement et mystérieusement dans les ténèbres; des légions d'êtres étranges tourbillonnent en frissonnant dans la campagne fantastique; la nature vide se peuple, la matière inerte s'agite. Mais les images restent nettes; dans cette folie, il n'y a ni vague ni désordre; les objets imaginaires sont dessinés avec des contours aussi précis et des détails aussi nombreux que les objets réels, et le rêve vaut la vérité.

Il y a, entre autres, une description du vent de la nuit bizarre et puissante, qui rappelle certaines pages de Notre-Dame de Paris. La source de cette description, comme de toutes celles de Dickens, est l'imagination pure. Il ne décrit point, comme Walter Scott, pour offrir une carte de géographie au lecteur et pour faire la topographie de son drame. Il ne décrit point comme lord Byron, par amour de la magnifique nature, et pour étaler une suite splendide de tableaux grandioses. Il ne songe ni à obtenir l'exactitude, ni à choisir la beauté. Frappé d'un spectacle quelconque, il s'exalte, et éclate en figures imprévues.

left out in fields; miles upon miles of hedge-divided-country, with the distant fringe of trees as obvious as the scare-crow in the beanfield close at hand in a trembling, vivid, flickering instant, everything was clear and plain: then came a flush of red into the yellow light; a change to blue; a brightness so intense that there was nothing else but light and then the deepest and profoundest darkness.

(Martin Chuzzlewit, t. II, p. 245. Éd. Tauschnitz.)

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